Selon des spécialistes, Ottawa avait plus à perdre qu’à gagner dans l’AUKUS. En étant complètement ignoré par les pays impliqués, le Canada a été exposé comme un allié de seconde classe.
Avec cette entente militaire, les États-Unis et le Royaume-Uni visent à augmenter leur pouvoir dans la mer de Chine méridionale, tandis que l’Australie se prépare à riposter à une éventuelle attaque chinoise, selon le membre du Centre d’études et de recherches internationales (CÉRIUM) Samir Saul.
Les États-Unis et le Royaume-Uni enverront ainsi des sous-marins nucléaires à l’Australie qui borderont les côtes chinoises pendant plusieurs décennies à partir du début des années 2040, selon M. Saul. Les trois pays s'échangeront aussi des données scientifiques, des avancées technologiques et des stratégies militaires.
Selon le professeur en science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Justin Massie, l’Australie n’avait pas le choix de s’équiper de ces sous-marins. « L’Australie ne peut pas simplement défendre ses côtes, la Chine est trop puissante », explique-t-il. La France s’est fait, pour sa part, couper l’herbe sous le pied, alors que le « contrat du siècle » qu’elle avait signé avec l’Australie en 2016 a été rompu la journée de l’annonce de l’AUKUS. Paris devait envoyer 12 sous-marins conventionnels à son allié du Pacifique, en échange de 83 milliards de dollars canadiens.
Le Canada laissé de côté
Si le Canada n’est pas dans l’AUKUS, il n’a pas pour autant adopté une position passive, selon M. Saul. « Ce qu’on entend dans la presse mainstream, c’est que le Canada aurait dû faire le maximum pour se faire accepter dans l’AUKUS, en investissant militairement, affirme-t-il. En réalité, ce n’est que du vent », note-t-il. Selon lui, une participation à l’AUKUS aurait placé le Canada contre la Chine sur le plan militaire, ce qui n’est pas dans l’intérêt du Canada. M. Saul va même jusqu’à dire que « c’est une bénédiction [pour le Canada] de ne pas avoir été sollicité. »
Pourtant, c’est aussi une réelle désillusion pour le pays : son absence des négociations constitue une véritable claque au visage, selon M. Saul. En effet, en plus d’être membre du Groupe des Cinq (Five Eyes), une alliance militaire également constituée des pays de l’AUKUS et de la Nouvelle-Zélande, le Canada est un éternel allié des Américains. Pourquoi donc créer un nouvel accord qui l’exclut?
Selon M. Massie, l’AUKUS est un accord pour des sous-marins nucléaires, « pour lesquels le Canada n’est pas actuellement ni de sitôt sur le marché ». M. Saul va plus loin en statuant que l’AUKUS dévoile au monde entier que le Canada n’est qu’un « allié junior » des États-Unis. « On contacte le Canada lorsqu’on a besoin de lui, ou qu’on veut quelque chose de lui, comme l’arrestation de Meng [Wanzhou] », explique-t-il.
Des relations houleuses avec la Chine
En décembre 2018, sous la pression de Washington, le Canada procède à l’arrestation de Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei, alors que les États-Unis la soupçonnent de contourner des sanctions américaines en Iran. La Chine riposte en emprisonnant deux Canadiens - Michael Kovrig et Michael Spavor -, accusés d’espionnage par l’État chinois. Depuis cet événement, les relations entre les deux pays se détériorent.
Selon M. Massie, la Chine est une grande menace pour le Canada en matière d’information. « L’espionnage industriel au Canada, les tentatives de s’immiscer dans les élections canadiennes, tout ça est bien réel », souligne-t-elle.
Le Comité olympique canadien (COC) recommandait d’ailleurs aux Canadiens et aux Canadiennes qui se rendent en Chine pour les Jeux de Pékin — les athlètes comme les entraîneurs et entraîneuses et les journalistes — de laisser leur téléphone cellulaire personnel à la maison, en guise de mesure préventive.
Une position inconfortable
Selon Anessa Kimball, sommité en études internationales et en défense canadienne, « le Canada ne mène pas une politique cohérente face à la Chine ». Dans le but de « garder la Chine comme partenaire commercial », il ne veut pas admettre qu’elle est une menace pour sa défense et sa sécurité.
De l’autre côté se trouvent les États-Unis. « Si le Canada est trop proche des États-Unis, ça nuit à ses relations avec la Chine », constate-t-iel.
« Il y a l’idée que le Canada est très pacifique, on ne serait donc pas une cible des autres pays. Mais on est quand même dans une région dangereuse parce qu’on est près des États-Unis qui sont des bad guy, des fois, sur la scène internationale », conclue-t-iel.
Photo: Kijâtai-Alexandra Veillette-Cheezo