La région autonome de Bougainville a voté à 98% pour son indépendance totale de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Entre exploitation minière et conservation de la culture locale, le pays en devenir peine à négocier avec le gouvernement central papouan-néo-guinéen.
L'échéancier du gouvernement central prévoit qu’une « entente politique » sur le référendum serait atteinte « pas plus tôt qu’en 2025, mais pas plus tard qu’en 2027 », tandis que celui de la région autonome prévoit « l'indépendance totale » pour ces mêmes dates. Volker Boege, chercheur à l’école de sciences politiques et d'études internationales à l’Université de Queensland en Australie, explique que la différence entre les termes utilisés par les deux parties « démontre le manque de volonté de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, qui retarde le plus possible les négociations [et] l'indépendance de Bougainville. »
D’après le Department of Independence Ready Mission, en charge d'assurer la préparation du peuple et de l'infrastructure à l'indépendance, une rencontre qui devait avoir lieu le 26 octobre dernier a été repoussée parce que: « le gouvernement central n’a pas la documentation nécessaire [et] n’est pas prêt à discuter d'indépendance avec [les dirigeants de Bougainville] ».
À travers l’incertitude qui pèse sur les Bougainvillais et Bougainvillaises, l’avenir du pays se négocie entre l’exploitation de ses ressources naturelles et la conservation de l'environnement et de la culture.
La « découverte » de Bougainville
Bien qu'elle tire son nom de l’explorateur français Louis-Antoine de Bougainville, qui l’a « découvert » en 1768, l'île est habitée depuis près de 8 000 ans par des peuples autochtones mélanésiens et austronésiens. Ils forment la grande majorité de ses 300 000 habitants. Situé à l'est de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, à 1600 km au nord de l'Australie, son territoire est riche en ressources naturelles et abrite l'une des plus grandes réserves de cuivre au monde.
L’exploitation de ces ressources naturelles, par des puissances étrangères, est au cœur de désastres environnementaux, de crises sanitaires et de guerres depuis les années 1970.
La guerre civile
Le référendum de 2019, promis en 2001 dans l'entente de paix, a mis fin au plus grand conflit en Océanie depuis la Deuxième Guerre mondiale : la guerre civile de Bougainville.
Entre 1988 et 1998, l’Armée révolutionnaire de Bougainville (ARB) a affronté la police nationale papouasienne dans un conflit qui a fait plus de 20 000 morts. Elle revendique l’indépendance totale du territoire et la fermeture de la mine de Panguna, ouverte en 1972 par la multinationale Rio Tinto « Nous étions furieux face à l'impact [de la mine] sur notre santé, sur notre économie et sur l'environnement. C’est pour ça qu’on prend la mine [de force] pour la fermer [en 1989]» explique Clive Porabou, cinéaste documentaire bougainvillais et ancien soldat de l'ARB.
« L'indépendance est non négociable pour les gens de Bougainville, qui désirent respecter l’entente de paix de 2001 pour y parvenir », affirme Volker Boege. « Nous ne voulons pas revivre de conflits violents chez nous », précise M. Porabou.
La route vers la souveraineté
Si le désir d'indépendance fait l’unanimité, le chemin pour y parvenir est sujet au débat. Volker Boege rapporte que la commission de planification de la constitution « va à la rencontre des villages pour discuter des désirs et des besoins du nouveau pays ». « On veut un système politique à l’image du pays, qui marie le modèle de gouvernement [occidental] à la culture et aux valeurs traditionnelles », ajoute-t-il. Les Bougainvillais veulent un gouvernement où « les leaders locaux, comme certaines femmes [ qui jouent un rôle important dans leur société matrilinéaire] et les conseils des ainés, seraient inclus dans la politique nationale».
Durant la période d’activité de la mine, l’entreprise australienne qui la gérait et qui engageait presque exclusivement des Papous, engendre d'énormes profits dont moins de 1% revenient aux locaux. La Papouasie-Nouvelle-Guinée détient 20% des parts de la mine, ce qui compte pour presque la moitié de ses revenus d’exportations à l’époque.
M. Porabou explique qu’aujourd’hui « [une partie de la population] désire exploiter la mine [dans l’est de l'île], pour soutenir l’économie et l’indépendance ». Il insiste pour que l’exploitation des ressources soit faite par et pour la population locale. Volker Boege explique cependant que « la position courante du gouvernement de Bougainville est d’aller chercher [les moyens et l’infrastructure] chez des puissances étrangères ». « Certains font déjà affaire avec la Chine pour des projets d’excavations illégales », soutient-il.
D'après un rapport par le Human Rights Law Center, les résidus de cuivre et de déchets toxiques, produits par l'excavation, contaminent les cours d’eau en aval de la mine, même 30 ans après sa fermeture. On y souligne également le témoignage de locaux qui expliquent que l’eau, ayant pris une couleur turquoise due à la quantité de cuivre qui s’y retrouve, irrite au contact de la peau et peut engendrer de bien pires problèmes si ingérée. Les ravages sur l’environnement affectent également l’agriculture, la pêche et l’écotourisme, qui seraient des alternatives économiques à la mine, selon Volker Boege.
M. Porabou souhaite une économie durable « qui ne soit pas centrée sur l’exploitation par des puissances étrangères » pour son futur pays.
Illustration: Camille Enara Pirón