En octobre 1970, l’enlèvement de James Richard Cross puis de Pierre Laporte par le Front de libération du Québec (FLQ) déclenche une crise encore jamais vue au Québec. Cinquante ans plus tard, l’événement est toujours ancré dans la mémoire collective québécoise. Au fil des années, d’autres mouvements politiques ont secoué la province et le rapport de force entre militants et policiers n’a que peu changé.
«Toutes les sociétés connaissent des crises graves qui peuvent mener à des situations explosives», déclare le professeur d’histoire à l’UQAM spécialisé en mouvements sociaux Martin Petitclerc. Les années 1960 marquent le début de nombreux changements sociaux dans le monde, et ce, de manière pas toujours pacifique.
«Il fallait se taire, parce que si on commettait l’erreur de dire la moindre petite chose qui voudrait dire qu’on approuvait, on risquait que ça se propage et que les autorités se présentent chez nous», se rappelle Réal Fortin, un témoin direct de la crise d’Octobre.
Les prisonniers d’Octobre ont été maltraités ; il suffit de voir le film Les ordres de Michel Brault pour le comprendre. Les forces de l’ordre exerçaient une répression arbitraire afin de «casser» les militants, en leur faisant croire qu’ils avaient perdu tous leurs droits et qu’ils ne sortiraient plus de la prison. Cette expérience a été traumatisante pour plusieurs d’entre eux.
Réaction aux crises
Heureusement, ce genre de répressions n’a pas été réutilisé dans les manifestations politiques au Québec depuis. «En revanche, les services de police vont utiliser le prétexte d’une infraction mineure pour justifier la répression de militants politiques», explique M. Petitclerc. Il mentionne aussi le recours au profilage politique, un comportement discriminatoire en fonction de l’identité politique réelle ou perçue d’un individu.
Lors de la crise d’Oka de 1990 par exemple, l’armée a procédé à plusieurs arrestations, dont un certain nombre de personnes ont été inculpées. Deux guerriers mohawks ont d’ailleurs été condamnés à des peines de prison. Un déploiement militaire de la sorte, impliquant la Sûreté du Québec (SQ) et l’armée canadienne, n’avait pas été vu depuis la crise d’Octobre.
Au Printemps érable de 2012, plusieurs dénonciations quant à la brutalité policière et au profilage politique envers les manifestants ont été entendues.
Bien qu’aucune arrestation n’ait mené à des incarcérations, environ 3500 personnes ont été arrêtées durant cette période selon un rapport publié en 2013 par la Ligue des droits et libertés.
Pour Daniel Poulin-Gallant, le coordonnateur d’Alter Justice, un organisme pour la défense de prisonniers, , «la façon de gérer la crise était une atteinte à la liberté d’expression par un gouvernement qui voulait empêcher les idées politiques différentes».
Aujourd’hui, les incarcérations se font plus rares. Les militants sont arrêtés quelques heures pour avoir contrevenu à des règlements municipaux, ce qui, selon Martin Petitclerc, est tout de même «une répression scandaleuse» du droit de manifester.
La crise d’Octobre, intense mais éphémère
C’est à partir de 1970 que le FLQ a été particulièrement actif. Ce mouvement a utilisé l’action directe, comme des vols de banque, d'armes et de dynamite, et la violence, par des attentats à la bombe, pour promouvoir la création d'un Québec indépendant. Leurs actions ont mené à ce qui est connu comme étant la crise d’Octobre. Réal Fortin la décrit comme étant «le résultat d’une tension qui s’était développée avec les années, entre le peuple, qui se sentait exploité, et les capitalistes, qui étaient les patrons.»
Selon M. Petitclerc, «c’est l’enlèvement du diplomate James Cross et du ministre Pierre Laporte en 1970, tout comme la répression violente des gouvernements fédéral, provincial et municipal, qui ont créé la crise d’Octobre.»
Depuis 1970, le système carcéral a évolué et les conditions des prisonniers au Québec sont loin d’être les pires, mais il y a encore du changement à faire aux yeux du coordonnateur d’Alter Justice.
Prisonniers politiques
La notion de prisonnier politique est toujours un peu floue, car il n’y a pas de réelle définition légale et consensuelle du terme. Selon Amnistie internationale, «un prisonnier politique est une personne emprisonnée pour des motifs politiques, c'est-à-dire pour s'être opposé par des actions au pouvoir en place dans son pays.»
Après la déclaration des mesures de guerre en 1970, près de 500 citoyens ont été arrêtés sans mandat et, pour la majorité, sans être liés aux actions criminelles du FLQ. «Envoyer les forces de l’ordre chez des gens qui ne sont pas concernés directement par [des accusations] d’infraction criminelle, c’est exagéré, explique Daniel Poulin-Gallant. C’est dangereux, en fait, pour le respect des droits fondamentaux des personnes!»
Photo par Julien Proulx-Lareau