1h09.
Arrivée à l’école primaire Mary A. Fisk à Salem, ville de quelque 28 000 âmes du New Hampshire.
Le stationnement déborde. Parmi les véhicules stationnés à même les terrains de jeu ou encore les énormes camions satellites de grands médias américains se cache une diversité de plaques d’immatriculation : New York, Massachusetts, Vermont, Maine, Maryland, Delaware, Pennsylvanie. Étonnement, peu de plaques du New Hampshire.
À la porte d’entrée du gymnase, les gens font la file par centaines.
Ce n’est pas un jour de classe. En ce samedi 25 janvier 2020, l’école primaire est transformée en véritable bastion démocrate; des drapeaux, des pancartes et même un homme-sandwich remplissent l’espace scolaire. On y attend Joe Biden.
Alors que les partisans patientent encore dehors, les membres de la presse s’affairent à calibrer tout appareil qui leur permettra de saisir le passage de l’ex-vice-président dans le petit gymnase.
Un journaliste indépendant local, Bob Gibbs, raconte que les politiciens optent tous pour cet humble établissement scolaire lorsqu’ils s’arrêtent à Salem.
À deux coins de rue de là se trouve pourtant un amphithéâtre avec une capacité de centaines de spectateurs. « La plus grande peur d’un politicien est le siège vide », s'esclaffe M. Gibbs.
11h45
Le responsable de la sécurité incendie se charge de faire entrer, au compte-goutte, la poignée de chanceux qui pourront voir de leurs propres yeux le politicien de 77 ans s’exprimer. Les autres devront se contenter d’une retransmission de ses propos par des haut-parleurs dans la cafétéria annexe.
M. Gibbs, qui est originaire du coin et qui couvre la région depuis maintenant 11 ans, confie que parmi toutes les personnes présentes, il n’en reconnaît aucune. Selon lui, Joe Biden n’est pas très populaire par ici.
12h30
La foule est fébrile.
Pendant l’attente, les partisans discutent, chantent et dansent pour passer le temps. Parmi les discussions, un sujet de conversation émerge: Donald Trump.
Les propos ne sont pas tendres à son égard. « Pigeon », « worst president in history » et « fascist » sortent du lot.
« Quelque chose se passe et nous le ressentons tous, n’est-ce pas? L’heure est critique. Le président des États-Unis a toujours été respecté mondialement. Aujourd’hui, notre président est la risée des autres leaders et il a déchiré la nation », exprime une habitante de Salem.
La haine envers le milliardaire new-yorkais est maladive. C’est comme si les élections présidentielles américaines de 2020 n’avaient pour principal objectif que de « vaincre Trump ».
Pour les Américains présents dans l’école primaire Mary A. Fisk, Joe Biden est celui tout désigné pour y parvenir.
12h45
M. Biden fait son entrée… avec sa petite-fille. Il incarne en tout point la figure paternelle, voire la figure grand-paternelle.
« Cet homme est d’une autre planète », dit d’emblée Joe Biden, en parlant de Donald Trump.
Dans l’ensemble, son discours est posé.
« Quatre années de Donald Trump [...] seront reconnues dans l’histoire comme une aberration. Huit années de Donald Trump changeraient le caractère de la nation. Nos enfants grandiront dans un pays totalement différent », renchérit-il plus tard.
Le Pennsylvanien prend peu d’engagements électoraux. Il promet entre autres d’investir des milliards en recherche sur le cancer.
« La première chose que nous allons faire est de se débarrasser de cet homme », conclut Biden, toujours en référence au président actuel. À la fin de son discours d’une trentaine de minutes, il se permet un bain de foule et une multitude d’égoportraits.
De retour à Montréal, dans le cadre d’une conférence de la Chaire Raoul-Dandurand intitulée Qui affrontera Trump? Guide des primaires et des caucus démocrates de 2020, le directeur de l’Observatoire sur les États-Unis, Frédérick Gagnon, compare Joe Biden à un « bouillon de poulet » : pour un pays malade, qui veut se remettre en santé et qui recherche du réconfort, il y a le côté Joe Biden, incarnant le bouillon de poulet, la normalité.
De l’autre, Bernie Sanders ou Elizabeth Warren, proposant une révolution du parti démocrate; de la sauce sriracha.
La course à l’investiture démocrate prend véritablement son envol lors des primaires du New Hampshire. Les primaires suivent le caucus de l’Iowa du 3 février 2020, remporté par Pete Buttigieg avec 14 délégués attribués pour la convention démocrate de juillet, selon les instances du parti. Bernie Sanders suit de près avec 12 délégués bien qu’il ait remporté le vote populaire, alors qu’Elisabeth Warren et Joe Biden n’ont rassemblé respectivement que 8 et 6 délégués.
Comme en 2016, Bernie Sanders a remporté les primaires du New Hampshire. Talonné par Pete Buttigieg et Amy Klobuchar, le sénateur indépendant du Vermont ne cumule qu’autour de 26% des voix selon l’Associated Press, faisant de lui le gagnant des primaires avec le plus bas total de votes dans l’histoire de l’État. Cette victoire lui procure 9 délégués sur les 24 prenables au New Hampshire.
De son côté, Joe Biden essuie un second revers en ne récoltant que 8,4% des votes dans l’État du nord-est. Sa campagne repose maintenant sur les États du Nevada et surtout de la Caroline du Sud, qui sont les prochains à voter. Biden peut espérer renverser la vapeur grâce à des communautés afro-américaines plus imposantes dans ces régions, chez lesquelles l’ancien vice-président est davantage populaire que ses opposants.
Les Névadains passeront à table le 22 février et les Sud-Caroliniens, une semaine plus tard.
Photo par Andréa Spirito