Si la poésie est tout aussi présente qu’auparavant au Chili, elle s’est cependant renouvelée dans les sujets abordés ou dans le style. À la portée de tous et toutes, elle est ainsi un outil pour les luttes sociétales.
« La poésie a connu un changement social que le reste de la littérature n’a pas connu, parce qu’elle est très sensible à ces changements », affirme Sergio Caruman Jorquera, professeur en langues et littérature hispanique à l’université du Chili. Pour lui, la poésie est une langue qui se redéfinit en tout temps parce que c’est un art très proche du public, et surtout, très direct.
Pour Benoît Santini, professeur à l’université du Littoral Côte d’Opale et spécialiste en littérature latino-américaine, ce sont « les combats » dans la société qui ne sont plus les mêmes, parce que les thématiques ont changé et que la société a évolué. Il précise que ce « rôle de combat » occupe une place prépondérante dans la société chilienne, tel que cela a été le cas lors des manifestations étudiantes en 2011.
Selon M. Santini, la poésie au Chili est une véritable arme de lutte contre le système hérité de la dictature d’Augusto Pinochet et a un impact plus direct sur le public en raison de son accessibilité immédiate. Lors de l’augmentation du prix des billets de métro en 2019, la poésie avait justement eu ce rôle social de lutte contre les inégalités, ajoute le professeur.
« Même les gens peu cultivés peuvent réciter de mémoire des poèmes de
Neruda. » — Samuel Fernández, ancien diplomate et vieil ami de Pablo Neruda
La progression des poétesses
Sergio Caruman Jorquera souligne la présence grandissante des femmes au sein de la littérature, et surtout au sein de la poésie, qui permet de diversifier les thèmes abordés. M. Santini s’accorde avec le Chilien et nomme notamment Fernanda Martínez, ainsi que de nombreuses autres poétesses, reconnues par leur père - approbation notable étant donné l’influence des patriarches dans la société chilienne.
Le spécialiste en littérature latino-américaine remarque une « solidarité [intergénérationnelle] au sein du monde poétique », avec des aînés et aînées qui tendent la main aux plus jeunes. « Cela permet de perpétuer la création poétique et d’éviter une poésie sclérosée », explique-t-il.
Sur les traces de la grande poésie
Samuel Fernández, ancien diplomate à l’ambassade de France et vieil ami du poète de renom et ancien sénateur chilien, Pablo Neruda, explique que plusieurs poètes et poétesses suivent encore le travail de ce dernier. Encore aujourd’hui, le poète aurait une influence sur les plus jeunes et les plus défavorisés. « Même les gens peu cultivés peuvent réciter de mémoire des poèmes de Neruda », affirme l’ancien diplomate.
Pour M. Santini, ce sont plutôt les poèmes de Gabriela Mistral, première femme latino-américaine et récipiendaire du prix Nobel de littérature, qui ont façonné la poésie d’aujourd’hui. « Elle a ouvert une voie à d’autres
voix », souligne-t-il. Pour lui, il est évident que de jeunes poètes et poétesses se sont reconnues dans cette femme qui « a su s’affirmer dans un monde d’hommes ».
Bien qu’il y ait une pluralité de nouveaux poètes et poétesses qui se démarquent, aucun n’occupe la place de modèle qu’a pu occuper Pablo Neruda ou Gabriela Mistral, note M. Santini. Toutefois, tous les intervenants s’accordent pour dire que cette pluralité de poètes et poétesses permet une nouvelle richesse dans le monde de la poésie chilienne.
Photo: Magali Brosseau