La famille nucléaire occidentale, formée de deux parents et de leur(s) enfant(s), n’est désormais plus le seul modèle de parentalité. Les services sociaux québécois font maintenant face à une réalité de plus en plus répandue: le polyamour. Plusieurs questions légales sont soulevées par le droit québécois.
Le modèle familial traditionnel a connu moult modifications. De l'autorisation du divorce en 1968 jusqu’à la légalisation du mariage entre conjoints de même sexe en 2005, le couple est en perpétuelle évolution au Canada. Les services sociaux ont dû s’adapter, au fil des ans, à l'affranchissement des familles québécoises, autant par rapport au mariage qu’au genre, à l’orientation sexuelle, à la méthode de fécondation et à l’éducation des enfants.
Selon la définition de l'Institut Vanier de la famille, « le polyamour se définit comme étant une pratique ou une condition se caractérisant par la participation à plusieurs relations intimes simultanément, sans motivation religieuse ni obligation découlant du mariage ».
Un modèle familial entraînant des difficultés
Karina*, âgée de 30 ans, est avec sa conjointe Ariane* depuis 15 ans. Ensemble, elles ont des jumeaux de deux ans. Elles ont toutes deux une relation en dehors de leur couple primaire. Dans la prochaine année, la copine de Karina, Martine*, qui est présentement en procédure d’insémination artificielle, rejoindra le couple primaire pour former une famille polyamoureuse en cohabitation. Les polyamoureux ne forment pas pour autant une triade, c’est-à-dire un couple à trois. Cependant, en raison de la loi concernant la biparentalité sur un certificat de naissance, Martine devra se déclarer légalement mère monoparentale.
Même si Karina entretient une relation avec Martine depuis 5 ans, elle préfère ne pas devenir tutrice responsable de leur futur enfant. « C’était la solution la plus simple pour tout le monde. Si on était une triade, ça serait impossible au Québec d’être toutes reconnues comme parents », ajoute Ariane.
Pour cette dernière, les familles polyamoureuses se butent « à des difficultés auxquelles les familles monos amoureuses n’ont pas à penser pour assumer leurs responsabilités ». Que ce soit à l’hôpital, à l’école, auprès des services sociaux ou devant la loi, la vie des familles polyamoureuses est foncièrement plus compliquée.
« Il y a des raisons légales expliquant pourquoi on n’est pas ouvertes avec les médecins dans le processus que nous avons entrepris. Il faudrait qu’un psychologue nous approuve pour qu’on puisse acheter du sperme pour la procréation assistée », explique Ariane, qui considère que la société n’est pas encore assez ouverte. « Pour moi, c’était un deuxième coming out; c’est beaucoup plus difficile de dire que je suis poly que lesbienne. Il y a toujours des jugements et les questions sont pleines de préjugés sur l’éducation des enfants et tout le reste », confie-t-elle.
Pourtant, selon la jeune femme, malgré les multiples tracas reliés à ce modèle familial, il y a certains avantages associés au polycule familial: « La vie de famille est beaucoup plus simple pour la répartition des tâches et du temps qu’on met à l’éducation des enfants, et pour la situation économique du foyer », évoque Ariane.
Une question de droit
Contactée par courriel, la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) indique qu’elle « a le mandat d’intervenir lorsque la sécurité ou le développement de l’enfant est compromis. Les intervenants traiteront les cas comme tous les autres en tenant compte des intérêts de l’enfant, et ce, peu importe sa situation familiale ».
Selon le bureau du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, « aucune situation de famille polyamoureuse n’a été soulevée dans le cadre de l’application de la Loi sur la protection de la jeunesse au Québec » à ce jour.
Présentement, au Québec, un enfant ne peut pas avoir plus que deux parents civils. Rouvrir la loi sur la polygamie dans ce contexte serait beaucoup trop complexe, selon l’avocate et enseignante en droit de la famille à l’Université McGill, Me Marie-Christine Kirouack. « Si on veut que l’on reconnaisse à travers le Canada l’affiliation de plus que deux parents, on ouvre aussi la porte à la bigamie et à la polygamie, qui sont très rarement en faveur des femmes », notamment au niveau des facteurs d’appauvrissement et de servitude, explique-t-elle. Me Kirouack fait aussi état des nombreuses questions existantes à propos d’une éventuelle séparation d’un polycule : « En considérant qu’environ un couple sur deux se sépare présentement, combien veut-on de couples qui se chicanent quand les difficultés vont arriver? »
« Ce que je trouve intéressant sur ce que je lis sur les questions de pluriparentalité, c’est que c’est très centré sur les adultes et peu sur les enfants », poursuit-elle. Advenant la séparation d’un polycule, où se trouve l’enfant? Comment divise-t-on la pension alimentaire? » Ces questions restent encore très incertaines pour l’avocate.
Me Kirouack rappelle que les familles polyamoureuses restent très peu répandues et que les statistiques sont peu nombreuses. Un parent en dehors du couple primaire peut tout de même devenir un tiers significatif pour l’enfant, sans pour autant être reconnu sur le certificat de naissance. « C’est toujours problématique, quand on veut changer des grands ancrages du droit et des fondements de notre société pour la base de quelques exceptions. En ouvrant la porte, on laisse place à des dérapages », conclut-elle.
*Prénoms fictif pour conserver l'anonymat des intervenantes
Photo par Nicolas Fivel