Au canton de Tiny, le sort de l’eau la plus pure au monde divise les entreprises d’extraction d’agrégats et les scientifiques depuis des années. Pourtant, alors que la municipalité possède peu de pouvoir sur le sujet, le gouvernement ontarien n’intervient pas assez pour protéger cette ressource à l’importance indéniable.
Cette eau, plus propre que l’ancienne glace arctique, ne contient aucune trace d’activités humaines et peu de chlorure. Des nitrates ou des phosphates provenant, par exemple, de fertilisants, de fumiers, d’eaux usées, y sont donc introuvables.
Selon le rapport sur la protection de l’environnement de 2017 réalisé par le Commissaire à l’environnement de l’Ontario, chaque année, la province utilise 164 millions de tonnes d’agrégats. Michael Powell, professeur au département des ressources renouvelables à l’Université d’Alberta, reconnaît qu’ils sont essentiels à la construction de maintes infrastructures dans la province, telles que des ponts, des routes et des bâtiments.
Néanmoins, selon lui, mettre en danger la pureté de l’eau en les extrayant à Tiny alors que d’autres ressources d'agrégats sont disponibles dans les alentours est illogique. « Pourquoi en prendre dans cette petite région qui possède l’eau la plus pure quand vous pouvez en prendre à d’autres endroits ? », s’indigne-t-il.
Dans le canton de Tiny, certaines entreprises utilisent cette eau pour le lavage de leurs agrégats extraits, bien que la population et les scientifiques craignent de potentielles répercussions négatives sur l’eau.
La réglementation quant à l’extraction des agrégats est répartie inégalement entre le municipal, le provincial et le fédéral. « Les membres du conseil municipal sont légalement responsables de l'impact des carrières sur la qualité de l'eau potable, bien qu'ils n'aient pas le pouvoir d'y arrêter l'extraction de granulats », rapporte David McRobert, avocat en droit de l’environnement. Ce pouvoir est détenu par le ministère du Développement du Nord, des Mines, des Richesses naturelles et des Forêts de l’Ontario.
M. McRobert rappelle aussi que le gouvernement ontarien du premier ministre Doug Ford encourage particulièrement le travail de ces entreprises minières. « Les élus étaient plus favorables à l'industrie et désireux de promouvoir de nouveaux logements et le développement industriel, nécessitant beaucoup de nouveaux agrégats », explique-t-il.
« Si le ministère et le canton de Tiny arrêtent l'extraction d’agrégats et nous permettent de faire l’étude et de trouver des réponses scientifiques, nous pourrons peut-être protéger cette eau pour toujours. » — Michael Powell, professeur au département des ressources renouvelables à l’Université d’Alberta et chercheur sur une étude sur l’eau du canton de Tiny
Des critères satisfaisants… selon des lois et des règlements
Actuellement, le ministère de l’Environnement, de la Conservation et des Parcs de l’Ontario (MECP) délivre les autorisations de prélèvement d’eau dans la province, y compris pour le lavage de granulats.
Selon Michael Powell, les critères considérés pour accorder ce permis ne protègent pas adéquatement la qualité et la quantité de l’eau de Tiny. M. Powell soutient ainsi que le MECP, tout comme la municipalité, n’a pas les données nécessaires pour faire des choix éprouvés scientifiquement qui garantiront la protection de cette eau.
D’ailleurs, dans une réponse transmise à L’Apostrophe, le MECP assure que « [son] personnel n'a observé ni documenté aucun impact hors des sites liés aux activités de prélèvement d'eau et de lavage des granulats dans le canton de Tiny. »
Des solutions pour protéger l’eau
Une étude prévue sur l’eau de la région permettra de connaître l’impact des activités des entreprises. Étalée sur quelques années, elle sera menée par des scientifiques universitaires de l’Ontario qui, d'ici quelques mois, devraient envoyer une demande officielle de subvention au gouvernement du Canada.
« Si le ministère et le canton de Tiny arrêtent l'extraction d’agrégats et nous permettent de faire l’étude et de trouver des réponses scientifiques, nous pourrons peut-être protéger cette eau pour toujours », explique Michael Powell, celui qui est aussi l’un des deux principaux chercheurs travaillant sur cette étude.
L’entreprise d’extraction de granulats Dufferin Aggregates n’est pas d’accord avec la suspension des opérations à la fosse Teedon située à Tiny. Elle déclare toutefois qu’elle « s'engage à veiller à ce que la qualité de la source d'eau souterraine demeure protégée et [qu’elle] appuie les propositions visant à faire analyser scientifiquement l'eau ».
Photo : Magali Brosseau