Avant l’ère du numérique, les assemblées citoyennes occupaient en grande partie le rôle des plateformes en ligne qui permettent la discussion et le débat. Ces espaces publics d’échange d’idées et d’opinions semblent s’être fait détrôner comme lieu de débat principal dans la sphère publique, mais leur existence reste essentielle à la santé des institutions démocratiques.
Les assemblées citoyennes permettent aux individus qui composent un peuple de s’exprimer sur la sphère publique et d’exercer leur pouvoir politique. Il est possible d’avancer que Facebook, à une époque d’hyperconnectivité, remplit maintenant ce rôle. Le réseau social, qui est le troisième site Internet le plus utilisé au monde, joue toutefois un rôle majeur dans la polarisation et la fragmentation de l’opinion publique. Chacun y consulte un fil d’actualité personnalisé et les algorithmes se chargent de faire défiler les nouvelles qui sont plus susceptibles d’obtenir l’attention de l’utilisateur, en se basant sur les mentions j’aime préalablement attribuées. Une chambre d’écho se crée, car les faits et les opinions qui ne lui correspondent pas sont évacués de son fil d’actualité, donc de sa conception du monde qui l’entoure.
«L’utilisateur n’a pas forcément accès à une information vérifiée et transparente, mais plutôt à une information qui tend à confirmer ses biais», explique Bouchra Ouatik, journaliste aux Décrypteurs, une émission diffusée à RDI qui lutte contre la désinformation. Selon la journaliste, qui se consacre à la rectification des fausses nouvelles, la consommation d’informations sur les réseaux sociaux expose la population à une moins grande variété de contenus que les médias traditionnels. L’intérêt des citoyens à aller chercher les nouvelles dans ces derniers étant en baisse, les assemblées citoyennes peuvent jouer un rôle essentiel pour contrer cette fragmentation de l’opinion publique, en donnant accès aux participants à une pluralité de faits et d'opinions.
Désillusion institutionnelle
Une désillusion à propos de la démocratie s‘est emparée des sociétés occidentales, notamment au Québec. En 2011, selon l’Indice citoyen des institutions politiques, seulement 53% des Québécois se disaient satisfaits de la manière dont la démocratie fonctionne dans la province. En Suisse, où les assemblées citoyennes sont présentes dans la vie de quatre citoyens sur cinq, ce pourcentage monte à 69%.
Selon Francis Dupuis-Déri, docteur en science politique et auteur du livre La peur du peuple : agoraphobie et agoraphilie politiques, ce modèle de démocratie directe est assurément l’une des raisons qui expliquent le taux de satisfaction plus élevé en Suisse. Toutefois, les assemblées citoyennes ne sont pas le remède à tous les maux puisque cette possibilité d’expression dans la sphère publique vient avec ses inconvénients : «Les manifestations de rue sont considérées comme plus suspectes et plus dérangeantes, en vertu du principe que les voix dissidentes devraient [...] s'exprimer par les [assemblées citoyennes]», affirme M. Dupuis-Déri.
La candidate du Nouveau Parti démocratique dans Hochelaga aux élections fédérales de 2019, Catheryn Roy-Goyette, rencontrée à la suite d’un débat dans sa circonscription, est catégorique sur le rôle que les assemblées citoyennes peuvent avoir dans la revitalisation de la démocratie canadienne. Les assemblées sont «essentielles dans un contexte où [de] plus en plus de gens cessent d’aller voter, sont cyniques, sont déconnectés. […] Il est important de reconnecter les candidats et les élus avec leurs citoyens.» Il est temps de se réapproprier ces lieux de circulation d’idées pour que les citoyens puissent «émettre leurs opinions, poser des questions ainsi qu’orienter les prises de position des différents élus», continue la candidate.
Mme Roy-Goyette pense qu’il y a matière à s’inquiéter, car une partie de la population pense qu’aller voter ne sert plus à rien. La liberté d’expression étant en danger dans plusieurs nations démocratiques comme la Turquie, l’Égypte et la Russie, la société québécoise se doit de stimuler l’intérêt pour la préservation de ses institutions. «Que ce soit dans des lieux publics ou des lieux communautaires, il faut permettre aux électeurs de rencontrer leurs élus et de leur poser des questions», conclut sans équivoque la candidate. Les assemblées citoyennes semblent bel et bien faire partie de la solution.
Photo par Marie-Soleil Brault