Alors que le Myanmar fait face à une crise sociale, le pays a tenu ses élections législatives dans un climat de discorde et de consternation civile. Les accusations internationales de génocide ont eu peu d’impact sur les intentions de vote.
Le gouvernement d’Aung San Suu Kyi a obtenu un deuxième mandat malgré sa passivité dans la gestion du génocide des Rohingyas, minorité ethnique musulmane. « On en comprend qu’une grande partie de la population [myanmaraise] n’a pas la même compréhension du génocide que les autorités internationales », indique le doctorant en science politique de l’Université de Montréal, Jean-François Rancourt.
Les Birmans, ethnie bouddhiste majoritaire au pays, constituent les voix les plus loyales à la Ligue nationale pour la démocratie (LND) alors que les minorités ethniques renoncent de plus en plus à soutenir le parti d’Aung San Suu Kyi.
Pour sa part, l’opposition est formée du Parti de l’union, de la solidarité et du développement (PUSD), affilié à la junte, et de différents groupes ethniques dispersés un peu partout dans le pays. Selon le directeur du Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne à l’Université d’Ottawa, John Packer, le désordre géographique de l’opposition explique son inefficacité.
Une transition inachevée
Malgré les nombreuses initiatives démocratiques entamées par la classe militaire, la transition demeure pour plusieurs incomplète et fallacieuse. Aux prises avec une constitution imposée par les militaires en 2011 qui leur assure le quart des 440 sièges de la Chambre des représentants, le gouvernement reste ankylosé par l’influence des anciens membres de la junte.
Les militaires qualifient leur système de démocratie disciplinée.
« Cela dit, lorsqu’il y a un adjectif devant le mot démocratie, ce n’est pas une vraie démocratie », souligne le professeur émérite d’études asiatiques de l’Université Georgetown, David I. Steinberg.
Ce privilège leur permet de garder le contrôle sur trois assises fondamentales de l’échiquier politique myanmarais, soit les ministères de la Défense, de l’Intérieur et des Affaires frontalières. L’armée constitue une entité indépendante du fait que, contrairement aux démocraties analogues, le poste de commandant en chef des forces armées ne revient pas au président du pays.
Les enjeux de la Constitution myanmaraise
« L’armée contrôle la police et les frontières, ce qui veut dire que le gouvernement n’a accès à aucune force armée sans la bénédiction des militaires. Ça permet à l’armée d’opérer de la manière qu’elle le souhaite, peu importe le gouvernement au pouvoir », affirme Jean-François Rancourt, qui se spécialise sur le Myanmar.
La Constitution accorde au commandant en chef de l’armée le droit d’invoquer un conseil exécutif qui permet d’instaurer un régime militaire en cas de crise jugée démesurée. Par conséquent, la Constitution immunise l’armée contre toutes critiques et offensives provenant du gouvernement qui ne veut pas voir son pays régresser vers une dictature.
Toutes modifications de la Constitution myanmaraise nécessitent l’approbation de plus de 75 % du Parlement. Les militaires représentent 25 % de la Chambre, ce qui leur octroie une sorte de droit de veto. Par exemple, cela empêche le gouvernement d’abroger la clause empêchant Aung San Suu Kyi d’occuper la fonction de présidente en raison de ses liens matrimoniaux avec un étranger.
Désarroi généralisé face au silence de la LND
Presque trente ans après avoir reçu un prix Nobel de la paix pour son rôle décisif dans le combat contre le régime militaire, Aung San Suu Kyi et son parti sont aujourd’hui sur la sellette internationale.
« Aung San Suu Kyi est une personne […] très intelligente. Elle veut gouverner, mais elle sait qu’elle est dans le collimateur de l’armée et c’est pourquoi elle agit avec prudence », fait valoir David I. Steinberg, qui la connaît personnellement. Selon lui, il s’agirait d’un « nettoyage ethnique » plutôt que d’un génocide, soit un processus d’épuration qui cherche à homogénéiser ethniquement un territoire par la force et l’intimidation.
Plusieurs pays ont dénoncé la complicité du gouvernement concernant les violences faites aux Rohingyas. Soulignons qu’Aung San Suu Kyi a défendu le Myanmar devant la Cour internationale de justice en 2019 et s’est montrée solidaire avec l’armée, principale responsable du génocide.
« Contrairement à d’autres régions du monde où les tensions entre le gouvernement et un groupe ethnique résultent de comportements révolutionnaires ou de “grabuge civil”, les Rohingyas n’ont causé aucun problème », explique John Packer, qui a d’ailleurs travaillé au Haut-Commissariat des Nations unies.
Malgré une victoire significative de la LND, l’opposition militaire demande la tenue de nouvelles élections. Toutefois, la commission électorale affirme que le résultat est final et sans appel.
Illustration par Augustin de Baudinière