Au Canada, travailler dans l’industrie du sexe n’est plus illégal depuis 2014, mais il est maintenant interdit pour le client d’en consommer. Cette contradiction incite plusieurs groupes militants pour la réforme des lois sur le travail du sexe à réclamer au gouvernement sa décriminalisation.
La loi actuellement en vigueur offre une immunité aux travailleuses et aux travailleurs du sexe quant à la vente de services sexuels. Cependant, cette loi vise aussi à réduire la demande et engendre un stress pour ceux et celles qui vivent de ce métier. C’est dans la relation entre le client, le gouvernement et la travailleuse ou le travailleur que la décriminalisation pourrait être bénéfique. « Si tout ce qui a trait au travail du sexe est décriminalisé, les travailleurs et travailleurs du sexe vont pouvoir travailler dans un environnement plus sain, avec plus de recours, et s’organiser entre [eux] », précise la sexologue et intervenante en santé sexuelle Amélie Ouimet, qui travaille à la Sphère, un organisme dédié à l’éducation de la santé sexuelle.
Le projet de loi C-36, sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation, a été adopté en 2014 par le gouvernement de Stephen Harper en s’inspirant du modèle suédois incriminant le client. Avant cette législation, c’était les femmes et les hommes travaillant dans l’industrie du sexe qui étaient incriminés.
Malgré ce changement, ces derniers restent « dans la même situation d’isolement et de danger. Si [ils et] elles vivent des agressions, [ils et] elles ne sont pas portées à aller à la police, car il y a trop de lois qui les criminalisent quand même », précise la sexologue Amélie Ouimet.
Cette criminalisation du client causée par le projet de loi oblige les travailleuses et les travailleurs du sexe à prendre des précautions aux dépens de leur propre sécurité. « On a des “spots” prédéfinis, dans un rond-point, dans une ruelle, où on sait que la police va moins souvent. Ça nous amène à être plus en danger. On s’éloigne de la lumière, de la civilisation et s’il arrive quelque chose, les gens ne nous entendent pas crier », confie une ancienne travailleuse du sexe de Montréal, Patricia, qui a passé 12 ans dans le milieu. Elle a arrêté de pratiquer il y a quatre mois.
Par conséquent, la méthodologie derrière la loi C-36, visant d’un côté à criminaliser le client et de l’autre à rendre plus complexe et difficile le métier de travailleuses du sexe, ne répond pas aux besoins fondamentaux de celles et ceux qui travaillent dans cette industrie, précise la professeure au département des sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal, Rachel Chagnon. Parmi ces besoins, il y a le fait de travailler dans des conditions sécuritaires et d’être libre de choisir où, quand et comment exercer son travail, tout en respectant son intégrité. Ce projet de loi se veut une manière de « protéger les travailleuses et les travailleurs du sexe », mais risque tout autant de compromettre les droits de ces derniers.
Les groupes prônant la décriminalisation ne voient pas la prostitution comme une pratique nocive en elle-même. Ce sont plutôt les conditions dans lesquelles elle est faite, en plus de la stigmatisation sociale qui l’entoure, qui la rend problématique, souligne Rachel Chagnon. Elle ajoute qu’il « y a un consensus très fort au Canada, sur l’idée qu’un échange sexuel contre argent consenti et consentant entre deux adultes vaccinés n’est pas un problème ».
Comprendre les nuances
Il est légal de vendre des faveurs sexuelles, mais il est interdit d’user de publicité pour solliciter cette vente. Les actes ne peuvent également pas être effectués près de lieux de cultes et d’écoles. Autrement dit, les travailleuses et travailleurs du sexe ont le droit d’échanger des services sexuels pour de l’argent, tant que cela demeure incognito. En revanche, chaque fois qu’un achat de service sexuel par un client se produit, une infraction est commise par ce dernier pouvant résulter en un emprisonnement allant jusqu’à 5 ans. Indirectement, cela rend l’offre incompatible avec la loi C-36. Patricia, aussi connue dans la rue sous le nom de La Petite Ka$s, confirme qu’il n’y a réellement aucun avantage dans les lois actuelles entourant le travail du sexe. Les travailleuses et travailleurs de cette industrie doivent se dépêcher à entrer dans les automobiles des clients à cause de la nervosité de ces derniers. Cela peut les empêcher de préciser leurs prix et leurs conditions, ce qui cause parfois une altercation.
Naviguer en toute sécurité au travers des lois actuelles constitue tout un défi pour les travailleuses et travailleurs du sexe. Le Parti libéral du Canada ne s’est pas encore avancé officiellement sur la matière. Le projet de décriminalisation reste donc toujours incertain.
Photo par Axel Guimond