Dans un contexte de crise du logement, certains craignent pour l’avenir des bâtiments patrimoniaux canadiens. Plusieurs de ces bâtiments ne servent plus et pourraient être rachetés par des entreprises privées, démolis, puis remplacés par des immeubles à logements.
La crise du logement sévit partout au Canada, plus particulièrement dans les grandes villes comme Montréal, Vancouver et Toronto. Dernièrement, la demande en logement a explosé, mais l’offre change peu, ce qui engendre une augmentation considérable du prix des loyers. Pour satisfaire ce manque de logements, la conversion de bâtiments anciens en habitations pourrait être une possibilité.
La directrice du marketing et des communications pour Heritage Toronto, un organisme à but non-lucratif qui vise la protection du patrimoine, Lucy Di Pietro, précise « qu’une partie du défi est la densité de population, car les édifices patrimoniaux n’apportent pas en eux-mêmes la densité suffisante pour répondre aux besoins. » La conversion de ces immeubles en logements pourrait tout de même ne pas répondre totalement à la demande. Urbaniste et planificatrice des transports à Montréal, Marie-Ève Assunçao-Denis abonde dans le même sens que Mme Di Pietro. Elle ajoute qu’il y a une demande croissante, puisque énormément de personnes viennent s’installer à Montréal, l’une des grandes villes canadiennes où le coût de la vie est le moins cher.
Certains avancent que l’étalement urbain est une solution pour protéger le patrimoine. « Malgré que cela enlève une pression sur des bâtiments qui peuvent demander plus d’entretien, c’est juste hyper néfaste », précise Mme Assunçao-Denis. L’étalement urbain élimine les terres agricoles qui se trouvent en périphérie et s’accompagne souvent de mauvais transports publics et de services de proximité, ce qui cause une centralisation autour de l’automobile. Les urbanistes privilégient donc d’abord de revitaliser les vieux bâtiments patrimoniaux par le changement de leur fonction, puisque plusieurs d’entre eux ne sont plus utilisés pour leur usage initial.
Des églises reconverties
Le premier titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain invité par l’UQAM, Luc Noppen, assure que les églises ou les chapelles historiques qui sont « toujours utilisées comme lieux de cultes appuient modestement la mise en tourisme de quartiers historiques [d’ici] en étant ouverts aux visiteurs ou en faisant l’objet de circuits de visites et d’activités culturelles. » C’est pourquoi, selon M. Noppen, l’option de changer la fonction première des églises est préférable, car elle assure une pérennité du patrimoine.
Faute d’argent, afin de rester fonctionnelles, plusieurs églises à Montréal sont désormais utilisées comme lieux culturels.
La bibliothèque du Mile-End, qui occupe l’ancienne église Church of the Ascension, construite en 1910, en est un exemple. Une autre église, située dans la Petite-Bourgogne, a été reconvertie en salle évènementielle. Le rachat de ces bâtiments par la Ville ou par des promoteurs immobiliers permet aussi de fournir des logements ou des centres communautaires dans différents quartiers. Cependant, ces actions doivent être bien contrôlées afin d’éviter que les développeurs urbains ne réduisent à zéro le patrimoine « puisque [ces actions] répondent, en partie, à la crise du logement », explique Marie-Ève Assunçao-Denis.
La population en faveur de la protection
« Il y a vraiment un cri du coeur pour protéger ces édifices. La Ville [de Montréal] et ses élus entendent ces cris », souligne Mme Assunçao-Denis. L’Ontario, une province similaire au Québec, a aussi établi des lois et des statuts pour protéger son patrimoine, selon Lucy Di Pietro.
À Montréal, plusieurs arrondissements possèdent des comités consultatifs d’urbanisme (CCU) qui ont comme devoir de se pencher sur chaque demande de permis de construction. Ces comités s’assurent que la demande respecte les règles de permis de construction, de patrimoine et de zonage. Ils peuvent refuser une demande si la reconversion déroge trop du caractère patrimonial du bâtiment. Le CCU le plus efficace, selon Mme Assunçao-Denis, est celui de Westmount, puisqu’il est très difficile d’obtenir un permis de construction dans cette ville pour moderniser un bâtiment. Le comité est toujours très minutieux en ce qui a trait au patrimoine; si la demande est radicale, le CCU va directement la rejeter.
Plusieurs mesures sont en place pour conserver les bâtiments patrimoniaux. Même s’ils perdent leur fonction principale, cela n’empêche pas de conserver leur beauté architecturale et de marier patrimoine et modernité, conclut Mme Assunçao-Denis.
Photo par Nicolas Fivel