Adji Sarr, une employée de salon de massage qui avait alors 21 ans, a accusé le chef de l'opposition du Sénégal, Ousmane Sonko, de l’avoir violée et menacée de mort, déclenchant ainsi des manifestations à travers tout le pays, en soutien à l’élu.
« Si Ousmane Sonko n’a jamais eu de rapports sexuels forcés avec moi, qu’il le jure sur le Coran !», a déclaré Adji Sarr, le 17 mars dernier lors d’une entrevue avec Monde Afrique.
La romancière et experte sénégalaise en études des genres à l'École des hautes études en sciences sociales à Paris, Ndèye Fatou Kane, souligne le courage dont Adji Sarr a fait preuve en partageant son histoire au début du mois de février. « Les violences sexuelles demeurent un sujet épineux dans la société », explique Mme Kane. En effet, ce n’est qu’en décembre 2019 que le viol a été criminalisé au Sénégal. Elle ajoute que les stratégies pour réduire les victimes au silence sont multiples.
« L’organisation sociale, juridique et politique, qui met les clés du pouvoir décisionnel entre les mains des hommes, contribue à invisibiliser les violences faites aux femmes », affirme Mme Sarr, en entrevue avec L’Apostrophe. Elle constate que les médias sénégalais se sont rapidement positionnés contre la victime en attaquant sa vie privée et en l’accusant de comploter contre Ousmane Sonko et son parti.
Deux poids, deux mesures
Le politologue sénégalais Papa Fara Diallo estime qu’il est crucial de contextualiser les accusations sur un plan politique pour comprendre qu’il s’agit d’une situation délicate. « Les deux derniers chefs de l’opposition ont également fait l’objet d'arrestations mandatées par le président de la République peu de temps avant les élections », explique-t-il.
« L’organisation sociale, juridique et politique, qui met les clés du pouvoir décisionnel entre les mains des hommes, contribue à invisibiliser les violences faites aux femmes. » - Adjii Sarr
« Son parti est très populaire auprès de la jeunesse sénégalaise, qui se retrouve dans ses politiques réformistes et anti-establishment », ajoute M. Diallo. Il croit qu’il est normal que le peuple soit sceptique à propos des récents événements, puisqu’Ousmane Sonko se présente comme un candidat sérieux aux prochaines élections.
Un recul pour les femmes
L’affaire sape de nombreuses années de lutte contre les violences faites aux femmes, selon Mme Kane, qui a lancé le mouvement #BalanceTonSaïSaï en 2017. À l’instar du #MeToo, en Amérique du Nord, les Sénégalaises étaient invitées à dénoncer leurs agresseurs sur les médias sociaux.
Mme Kane craint que le traitement médiatique à la fois humiliant et culpabilisant qu’a subi Adji Sarr envoie un message décourageant aux victimes d’agression sexuelle: peu importe les faits, les hommes sortiront toujours vainqueurs.
« On verra l’impact des médias sur le procès et sur la société dans quelques mois, mais j’ai peur que les femmes enfouissent au plus profond d’elles-mêmes toute volonté de contestation devant cette situation », déplore la chercheuse sénégalaise.
Illustration: Malika Alaoui