Alors que le mouvement séparatiste des provinces de l’Ouest canadien, communément appelé Wexit, semblait prendre de l’ampleur depuis les élections fédérales d’octobre 2019, la difficulté de la tâche à l’horizon pourrait bien transformer la flamme de l’indignation en feu de paille.
« Nos ennemis sont les personnes qui veulent détruire la liberté et l’autonomie en Alberta », martèle la cheffe de l’Alberta Advantage Party, Marilyn Burns. Ce parti, qu’elle a elle-même fondé en 2018, se dit conservateur et en faveur de l’autosuffisance de cette province. Et, selon Mme Burns, avocate de profession, il a déjà des ennemis : « Les globalistes comme Justin Trudeau, Stephen Harper et Jason Kenney. »
C’est avec ces mots que Marilyn Burns exprime le mieux le sentiment d’injustice grandissant dans l’ouest du pays. Au cœur de cette frustration, il y a la péréquation fédérale : le système faisant en sorte que les taxes et les impôts des Canadiens soient redistribués aux provinces selon la disparité des richesses de chacune. Puisque l’Alberta est la province la plus riche au pays, notamment grâce à son exploitation pétrolière, elle ne bénéficie pas de cette égalisation économique. Injustice selon certains, équité selon d’autres: avec un soutien fédéral de 13,25 milliards de dollars en 2020, le Québec est la province qui profite le plus de la péréquation.
Une question d’argent
Pour le professeur en science politique à l’Université de l’Alberta Frédéric Boily, les fluctuations du pétrole créent une impression d’instabilité financière. « Le problème, c’est qu’autant il peut y avoir des hausses spectaculaires, autant il peut y avoir des baisses spectaculaires comme on en voit présentement », nuance-t-il. Selon lui, c’est ce qui attise la colère albertaine : le sentiment de ne servir qu’à produire des richesses dont les bénéfices iront à d’autres.
« On ne parle pas de domination au niveau culturel », explique M. Boily. « Il n’y a pas d’historien albertain qui aurait donné une conscience historique à l’Alberta comme c’est le cas au Québec », ajoute le professeur, qui trouve le Wexit plus proche du mouvement souverainiste de la Catalogne, basé sur l’importance économique de cette province espagnole, que de celui, culturel, de la Belle Province.
Une séparation utopique?
Seulement 25% des Albertains interrogés en ligne par la firme de sondages Abacus Data, en août dernier, disent être en faveur d’une séparation. « Je vois que le soutien émotionnel grandit. Je vois que le soutien logique grandit aussi », exprime Marilyn Burns. « Mais est-ce que les Albertains sont prêts à se relever les manches? Je ne vois pas encore ça », constate-t-elle.
« La solution séparatiste ne me semble pas crédible », appuie Frédéric Boily. Il avance que ce mouvement de séparation, qui revient par cycles depuis les années 1930, servirait toutefois de « levier politique » pour forcer la main d’Ottawa en faveur de la moitié pacifique du pays. Depuis l’élection de Justin Trudeau en 2015, l’Alberta milite pour un réseau plus étendu d’oléoducs, un projet entravé par les politiques environnementalistes des libéraux.
Pour ce spécialiste du conservatisme canadien, la pandémie de COVID-19 pourrait bien affecter la fragile effervescence du mouvement souverainiste d’Alberta. « Ça peut aller dans les deux sens », précise Frédéric Boily. Tout dépendra de la gestion de la crise du coronavirus du gouvernement Trudeau. De son côté, le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, a annoncé le congédiement temporaire de 26 000 employés en éducation, jugés non essentiels depuis la fermeture des écoles pour une durée indéterminée.
Illustration par Édouard Desroches