Si deux grands modèles régissent l’agriculture québécoise, ils se rallient autour du désir de bien nourrir la population.
Un dossier par l'équipe Multimédia.
Texte et recherche : Sophie Mediavilla-Rivard
Recherche supplémentaire et audio : Sarah Brulé
Photos : Tom Imler
Tandis que l’agriculture québécoise se réforme lentement, les modèles agricoles traditionnels réaffirment leur légitimité et s’adaptent à la demande en constant changement. En marge, une relève ambitieuse initie des projets alternatifs qui promettent de changer notre rapport à l’alimentation.
L’agriculture industrielle est actuellement le modèle de culture qui prime au Québec : sur des centaines d’hectares, bétails et végétaux sont exploités de façon intensive.
La productivité des fermes québécoises qui y est associée permet une certaine autonomie alimentaire, car locale. Les coûts et l’impact environnemental du transport sont faibles lorsque la population ne dépend pas de l'étranger pour s'alimenter. Or, l’intensification de l’agriculture ne se fait pas sans conséquences. La pollution des cours d’eau et des sols, les émissions de gaz à effet de serre et la perte de la biodiversité causées par l’utilisation de pesticides et la culture intensive inquiètent.
« À l'heure actuelle, la grosse difficulté des producteurs, c'est vraiment de concilier les demandes de respect de l'environnement et de bien-être animal avec une rentabilité qui est nécessaire pour survivre. » — Julie Fréchette, enseignante à l'Institut de technologie agroalimentaire du Québec (ITAQ)
Reconnecter avec l'alimentation
Des mouvements alternatifs émergent et tentent de modifier la vision traditionnelle du Québec en matière d’économie rurale, comme l’agriculture biologique, urbaine et de proximité, la production maraîchère et serricole et les microfermes.
À l’Institut national d’agriculture biologique du cégep de Victoriaville, les demandes d'admission en gestion et technologies d'entreprises agricoles dans les profils de production biologique et d’agriculture urbaine ont considérablement augmenté depuis les dernières années, passant de 15 en 2010, à 51 en 2015, pour quasiment doubler en 2020.
Ces jeunes producteurs et productrices agricoles ayant à cœur la protection de l’environnement et l’achat local souhaitent influencer positivement les habitudes de consommation au Québec. « Ce qu’on fait, […] c’est d’abord et avant tout de créer un meilleur système alimentaire local et durable », affirme Loïc Philibert-Ayotte, coordonnateur des relations publiques des Fermes Lufa à Montréal, première entreprise de serres commerciales sur toit au monde.
Cultiver autrement
Selon une compilation du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, 2020 a été la première année depuis 1971 où le nombre de fermes avait augmenté par rapport à l'année d'avant. « Ça s'explique par l'essor des microfermes et des petites fermes maraîchères, entre autres », mentionne le professeur en agriculture biologique au cégep de Victoriaville et coordonnateur de programme de gestion et technologies d'entreprises agricoles Pierre-Antoine Gilbert.
Il remarque que les entreprises agricoles traditionnelles qui voient dans les bonnes pratiques du bio un intérêt de mieux performer vont suivre le bal. « On voit des technologies qui étaient destinées aux fermes biologiques être désormais aussi destinées aux fermes conventionnelles », explique le professeur.
L’équilibre et la nuance nécessaires
Mais est-ce qu’un modèle de culture devrait être priorisé à un autre? L'enseignant au cégep de Victoriaville espère une agriculture plurielle et multifonctionnelle pour le Québec. « Mon rêve, c'est que les gens fassent des jardins dans leur cour, qu'il y ait plus de paysans dans les campagnes, des microfermes rentables. […] Oui, la place à la culture industrielle ou à la grande culture, mais axé sur la protection de l'environnement et des cours d'eau et sur la santé », imagine-t-il.
Julie Fréchette, enseignante à l’Institut de technologie agroalimentaire du Québec (ITAQ), croit pour sa part que « pour l'autonomie alimentaire des Québécois et des Québécoises, l'agriculture intensive est nécessaire », bien qu’elle applaudisse les fermes qui tiennent compte des enjeux environnementaux et sociaux. « Même s'il y a des courants forts qui s'installent tranquillement, la majorité des consommateurs veut encore acheter en abondance des aliments de qualité à bon marché », souligne-t-elle.
Pourtant, aux Fermes Lufa, aucun idéal ne semble trop hors d’atteinte pour être envisagé. « Une autonomie alimentaire en produits frais pour les Montréalais est entièrement atteignable », défend Loïc Philibert-Ayotte. Selon lui, plusieurs dizaines de leurs serres pourraient suffire à augmenter la capacité de production et nourrir une part considérable de la population québécoise.