L'Arabie Saoudite a suscité une vive controverse cet été en organisant la première Esport World Cup. Ce tournoi d’envergure s'inscrit dans une stratégie plus large visant à améliorer l'image du pays sur la scène internationale.
Durant les mois de juillet et d'août 2024, 30 équipes se sont affrontées sur 22 jeux, avec la possibilité de remporter des récompenses monétaires totalisant 60 millions de dollars américains. Cette compétition, réunissant 1 500 joueurs et joueuses, positionne l'Arabie Saoudite comme un acteur central dans le monde du jeu vidéo. « Cette compétition s'inscrit dans un projet ambitieux visant à faire de l'Arabie Saoudite un carrefour du sport électronique », indique Nicolas Plante, ancien entraîneur d’E-sports au Cégep de Limoilou à Québec.
Cette compétition de jeux vidéo a permis au pays d'attirer des touristes, de diversifier son économie et de développer d'autres secteurs. Ce tournoi adhère à la Vision 2030 axée sur trois thèmes : une société dynamique, une économie prospère et une nation ambitieuse.
Nicolas Besombes, sociologue de l’e-sport à l’Université de Paris Cité, précise qu’au cours des dernières années, le pays a acquis des éditeurs de jeux, des parts dans des entreprises de jeux vidéo et des compagnies qui organisent des tournois.
Un rideau de fumée
Cependant, cette compétition est perçue par plusieurs personnes comme du sport washing, car elle relègue au second plan les graves violations des droits humains du pays. Nicolas Plante indique que « le sportwashing consiste à utiliser le sport pour améliorer son image et détourner l’attention du public d’actions controversées ».
Durant les mois où se tenait la Esport World Cup, 27 exécutions ont été signalées. Selon l'Agence de presse saoudienne, le pays a atteint un record de 198 personnes exécutées depuis le début de l’année 2024, dont des femmes, des journalistes et des membres de la communauté LGBTQ+.
Plusieurs participants et participantes à la compétition appartiennent d’ailleurs à cette communauté. Steve Arhencet, co-PDG de l'équipe d'e-sport Team Liquid et ouvertement homosexuel, illustre parfaitement ce débat au sein du milieu. Après avoir annoncé sa participation à la Esport World Cup, il a exprimé sur X que « le progrès réside dans l'engagement, pas dans l'isolement ».
L’instabilité des clubs
Selon Nicolas Besombes, malgré la dichotomie entre la réalité saoudienne et celle de l’Occident, la participation des clubs occidentaux à la Esport World Cup s’explique par leur précarité financière. « La majorité des revenus, dans l’industrie des jeux vidéos, vont aux éditeurs de jeux, tandis que les joueurs dépendent des prix des compétitions », explique-t-il. Ainsi, pour ces clubs, la Esport World Cup représente une occasion en or leur permettant de renflouer leurs coffres. Les succès en compétition se traduisent ensuite par des primes financières et des points qui, cumulés, permettent aux équipes de remporter des cagnottes encore plus importantes.
Cependant, des joueuses ou des joueurs comme SonicFox, champion de Mortal Kombat, ont publiquement refusé de participer à la coupe, affirmant que l'événement était opposé à leurs valeurs. Le sociologue d’e-sport Nicolas Besombes précise toutefois que seule une minorité de joueurs et de joueuses peuvent se permettre de faire ce choix, en raison de leur statut privilégié, illustrant ainsi un dilemme moral au sein de la communauté.
Crédit photo : Florian Olivo