Certains cégeps francophones de Montréal offrent de plus en plus de cours en anglais pour contrer le magnétisme des cégeps anglophones et freiner l’engouement que ces derniers suscitent chez les étudiants francophones.
Dans l’espoir de « développer un vocabulaire spécialisé en anglais », comme il est écrit sur leur site web, le Cégep de Saint-Laurent et son voisin anglophone, le Cégep Vanier, se sont récemment associés pour offrir conjointement aux étudiants et aux étudiantes la possibilité de suivre un parcours bilingue dans les programmes de sciences humaines et des sciences de la nature.
Étrangement, la phrase citée ci-dessus n’a pas été traduite sur le site du cégep Vanier ni rédigée pour promouvoir l'apprentissage du français. C’est plutôt le bilinguisme qui y est vanté. Cette tendance à promouvoir le bilinguisme dans les cégeps pourrait être le symptôme de l’anglicisation du réseau de l’enseignement supérieur. Ou, a contrario, l’inquiétude suscitée par les lanceurs et les lanceuses d’alertes ne ferait que dépeindre un Québec hypocondriaque et excessivement opiniâtre?
« Les cégeps francophones sont les perdants du régime concurrentiel anglophone actuel. […] L’intérêt principal des institutions à offrir des cours en anglais est d’optimiser la cueillette des fonds. » -Frédéric Lacroix
Le clientélisme scolaire
L’essayiste, physicien et chercheur indépendant Frédéric Lacroix décèle dans l'augmentation des cours offerts en anglais dans les cégeps francophones un phénomène aussi économique que culturel. « Les cégeps francophones sont les perdants du régime concurrentiel anglophone actuel. […] L’intérêt principal des institutions à offrir des cours en anglais est d’optimiser la cueillette des fonds », a-t-il expliqué en entrevue avec L’Apostrophe.
Les cégeps francophones et anglophones sont en concurrence dans la course au recrutement. Ils briguent les mêmes étudiants et étudiantes, soit le corps étudiant anglophone, francophone et allophone, de plus en plus séduit par les établissements scolaires postsecondaires anglophones.
Toutefois, les cégeps publics subventionnés n’agissent pas en solitaire. Des cégeps comme le Cégep Champlain St. Lawrence, anglophone mais fréquenté par plus de 80% de francophones (2020), et le Collège de Rosemont ont obtenu ensemble des milliers de dollars de la part du gouvernement fédéral et ont, respectivement, augmenté leur nombre d’effectif maximal et la mise en place de programmes en anglais.
Une lutte éternelle
La grande majorité des allophones francotropes (allophones qui sont davantage portés à apprendre le français), s’inscrivent à foison dans les établissements d’enseignement supérieur francophones, attestant l’efficacité des politiques migratoires. Or, on ne peut en dire autant des allophones anglotropes, représentant la moitié de l’effectif collégial global, mais qui s'inscrivaient à 90% dans les cégeps anglophones, selon M. Lacroix.
L’enjeu linguistique au Québec résulte de la conjecture de multiples facteurs comme l’immigration, le secteur de l’éducation, le financement, etc. Or, des établissements francophones et des citoyens et des citoyennes anglicisées contribuent, involontairement ou à dessein, à l’anglicisation progressive du Québec, sanctuaire nord-américain de la francophonie.
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