Face à l’écrasante majorité démocrate des centres urbains, les comtés républicains et ruraux de l’Oregon se sentent délaissés par leur gouvernement et manifestent leur envie de rejoindre un état voisin qui leur ressemble. Coup de génie pour calmer les tensions entre la gauche et la droite ou coup de pelle dans le fossé idéologique?
Mécontente du gouvernement démocrate de l’Oregon, la population rurale des comtés de l’Est de l'État souhaite s’annexer à l’Idaho. Onze comtés ont déjà voté en faveur de cette union. Ceux-ci s’identifient davantage au gouvernement républicain de leur voisin. Le projet doit toutefois passer par une entente entre les deux États concernés, puis être approuvé par le gouvernement fédéral américain avant de s’engager dans le redécoupage des frontières.
Fossé idéologique
« Il y a, dans l'État de l’Oregon et dans le reste des États-Unis, cette grande division idéologique entre les centres urbains et les milieux ruraux », explique Matt McCaw, porte-parole du Greater Idaho Movement. Les deux groupes auraient « des idéaux, des valeurs et des modes de vie très différents ».
Ceci ferait en sorte que, dans ce « bras de fer » dans lequel ils se retrouvent, les différences idéologiques de la population rurale ne seraient pas prises en compte dans les décisions du gouvernement. Il mentionne notamment les législations sur les armes à feu et la décriminalisation des drogues dures, qui ne concordent pas avec les valeurs conservatrices de l’Est de l'État.
Près de 91% de la population habitent les régions métropolitaines qui équivalent au tiers du territoire. Les 9% restants, pour qui milite Greater Idaho, occupent plus des deux tiers de sa superficie.
Cohésion sociale
Selon Julien Toureille, chercheur à la Chaire Raoul-Dandurand et expert en politique américaine, le climat idéologique actuel est tellement tendu que la droite américaine considère « être gouvernée par des gens qui ne sont pas simplement des adversaires politiques, mais des ennemis existentiels ».
En déplaçant la frontière vers l’ouest, la séparation idéologique et culturelle s'accorderait mieux avec la séparation du territoire. M. McCaw précise l’objectif d’établir la frontière « où se trouve réellement la division culturelle [et idéologique] ». Ainsi, « Les gens [dans l’Ouest] qui préfèrent le gouvernement de gauche pourraient le garder, tandis que ceux qui n’en sont pas satisfaits auraient finalement ce qu’ils veulent », ajoute-t-il.
Ségrégation
Selon M. Tourreille, « Les États-Unis, par définition, se veulent unis et si vous acceptez [de diviser les comtés pour créer des États entièrement démocrates ou républicains], vous mettez en péril l'Union à toute fin pratique ».
Ilana Rubel, représentante à la Chambre des représentants de l’Idaho, partage des craintes similaires : « Nous ne devons pas nous ségréguer par idéologie comme bon nous semble pour se retrouver entouré de gens qui pensent tous comme nous », dit-elle. « Nous devons apprendre à mieux nous comprendre et travailler ensemble.» Elle définit ce type d’idées comme un précipice vers la « guerre civile ».
La Chambre des représentants de l’Idaho s'est tout de même prononcée en faveur de l’ouverture d’une discussion avec l’Oregon sur l'acquisition des comtés concernés.
Masse critique du mouvement
« Notre plus grand événement a rassemblé plus de 500 personnes à Roseburg [une ville de 23,000 habitants dans le sud de l’Oregon] en mars 2020 », estime le porte-parole du mouvement.
Selon M. Toureille, ce projet a très peu de chances de se réaliser puisque « politiquement et économiquement, un État n’a aucun intérêt à accepter que l’un de ses comtés quitte». Il rappelle que « les votes du collège électoral, qui désignent le président, sont répartis entre les États en fonction de leur poids démographique ». Se défaire d’une partie de sa population constituerait donc une perte de poids au collège électoral pour l’Oregon.
On parle tout de même de 9% de la population qui désirait partir avec plus de 60% du territoire.
Matt McCaw insiste toutefois sur le fait que le mouvement du Greater Idaho se base sur « un des principes fondamentaux des États-Unis » soit « d’obtenir un gouvernement par le peuple et pour le peuple avec le consentement du peuple». Ils « déploieront tous les efforts pour donner la possibilité aux gens de choisir le gouvernement qui leur convient le mieux », affirme-t-il.
Illustration: Camille Enara Pirón