À la suite d’une série de bombardements meurtriers commis par l’État islamique, le 21 avril 2019, au Sri Lanka, des discours violents ont été diffusés en ligne à l’endroit de la minorité musulmane du pays. Afin d’y remédier, le gouvernement a choisi de suspendre l’accès aux réseaux sociaux appartenant au groupe Meta.
L’islamophobie au Sri Lanka est marquée par une violence grandissante depuis la fin de sa guerre civile, qui s’est déroulée de 1983 à 2009. Selon Andrea Malji, professeure adjointe en études internationales à l’Université du Pacifique d’Honolulu à Hawaï, le pays a été en guerre pendant si longtemps qu’il ressentait presque le besoin de combler l’absence d’un ennemi. En réaction à une accumulation de frustrations vis-à-vis le 10% de la population sri lankaise pratiquant l’islam, des groupes de bouddhistes nationalistes ont vu le jour, explique-t-elle.
Selon l’experte, les nationalistes prétendent que la communauté musulmane s’accroît dangereusement et que le financement qu’elle reçoit de l’Arabie Saoudite renforce ses valeurs conservatrices. Mme Malji confirme qu’il y a, en effet, de plus en plus de femmes portant le hijab au Sri Lanka. Elle souligne cependant que ceci n’a aucun lien avec le nombre de partisans et partisanes de la religion, qui demeure stable.
Des lois discriminatoires
En avril 2021, le gouvernement du président sri lankais Gotabaya Rajapaksa a annoncé que, pour des raisons de « sécurité nationale », le port de la burqa en public serait banni et que l’enseignement de l’Islam dans près de 1000 écoles musulmanes serait proscrit. De plus, au cœur de la pandémie, les Sri Lankais et Sri Lankaises pratiquant l’islam ont été contraintes, par la loi, d’incinérer leurs proches décédés alors qu’il s’agit, pour eux, d’un véritable blasphème.
« L’interdiction de la burqa a donné à de nombreuses femmes musulmanes qui la portent le sentiment d’être isolées et confinées chez elles », explique Tasnim Nazeer, journaliste britannique d’origine sri lankaise s’intéressant à la question de l’islamophobie. « Plusieurs musulmans et musulmanes estiment que cette interdiction a été imposée délibérément pour que celles-ci se sentent ciblées et ostracisées dans leur propre communauté », souligne-t-elle.
En plus de subir des agressions physiques et du harcèlement en public, les Sri Lankais et Sri Lankaises qui pratiquent l’islam doivent composer avec la propagation de fausses informations à leur sujet. Il est dit en ligne, notamment, que les restaurateurs et restauratrices musulmanes incorporent des contraceptifs à leurs menus afin de stériliser leurs clients et clientes bouddhistes. Tasnim Nazeer explique qu’en 2018, des propos islamophobes relayés par le groupe nationaliste bouddhiste Bodu Bala Sena ont mené à des émeutes et au vandalisme de nombreuses propriétés musulmanes.
Un problème complexe
L’État insulaire n’a cependant pas les ressources suffisantes afin de contrôler la désinformation et le cyberharcèlement sur son territoire, selon Mme Malji. Le nombre de modérateurs et de modératrices de contenu travaillant pour le groupe Facebook en singhalais et en tamoul est très limité, explique-t-elle. Il devient donc presque impossible de gérer les informations qui s’y trouvent et qui circulent à une vitesse remarquable.
Aparrajitha Ariyadasa, avocate spécialisée en protection des personnes victimes de cyberharcèlement, précise que le Code pénal sri lankais criminalise le harcèlement sexuel, les menaces, l’usurpation identitaire et le partage de contenu obscène en ligne, mais ne gère d’aucune façon la désinformation.
Cette gestion inadéquate des médias sociaux est extrêmement nuisible à la communauté musulmane et plus particulièrement aux femmes qui en font partie. Une étude de la docteure en criminologie de l’Université de Nottingham Trent Irene Zempi mentionne que, puisque leur appartenance à la religion est visible, elles expérimentent une discrimination plus persistante et plus violente.
Irene Zempi confirme que, selon plusieurs personnes ayant des préjugés islamophobes, le voile est un symbole d’oppression de genre et représente une menace à la cohésion sociale. Les musulmanes subissent donc une discrimination intersectionnelle : on les dénigre parce qu’elles sont des femmes et parce qu’elles pratiquent une religion associée au terrorisme et à un conservatisme extrême.
Dans une entrevue pour le journal allemand Deutshe Welle, Alan Keenan, directeur de projet du Sri Lanka au Groupe International de Crise de Londres, explique que le gouvernement devrait adopter deux solutions afin de contrer son problème de désinformation islamophobe. Il doit renforcer les lois sur les discours haineux et poursuivre ceux qui les propagent. Le gouvernement du président Rajapaska continue malgré tout, selon les dires de Mme Malji, de marginaliser intentionnellement sa minorité musulmane en instaurant des lois qui briment leur liberté de pratiquer et de manifester publiquement leur religion.
Photo : Florence Beaudoin