Au même titre qu’un ou qu’une biologiste parcourt la forêt pour mieux la comprendre, le ou la journaliste parcourt les rues, le monde, les bases de données et les dépêches d'agences de presse afin de trouver des histoires à raconter, des informations à communiquer.
Qui plus est, une forêt, tout comme la société, est un assemblage d’éléments vivants interconnectés. Il s’en passe des choses dans une forêt! Certains événements sont soudains et d’autres sont plutôt graduels. Mais au bout du compte, tous et toutes ont leur rôle à jouer dans ce grand système vivant en symbiose pour mieux se développer.
Le feuillage
Un naturaliste amateur ou une naturaliste amatrice peut choisir ses objets d’étude. Il ou elle aura vraisemblablement tendance à se diriger vers les grands arbres, ceux aux couleurs spectaculaires, ou encore à observer de loin les feux de forêt. Bref, l’humain s’intéresse aux événements qui attirent l’attention.
En revanche, le ou la journaliste a le devoir d’aller plus loin que le simple feuillage.
S’intéresser à la parure, chasser les clips — ces images ahurissantes et hors du commun qui participent au sensationnalisme — ça ne rend pas justice aux mouvements sociaux.
L’été dernier, le feu de Black Lives Matter s’est ravivé. Les images de la mort barbare de George Floyd, diffusées à travers le monde, en ont été la bougie d’allumage. Par la suite, on a couvert les grandes manifestations pacifiques, et les quelques malheureuses émeutes, à grands coups d’images marquantes.
Or, les discussions pertinentes et difficiles sur les enjeux concrets de racisme et de discrimination ont été plutôt rares. On nous a donc présenté, la plupart du temps, des images dramatiques de manifestations, plutôt que d’aborder les causes sociales profondes de cet écœurement généralisé qu’ont exprimé les communautés marginalisées.
Les racines
Un mouvement social, c’est plus que les manifestations et la distribution de tracts dans le métro. À l’origine, c’est un groupe d’individus qui se rassemblent autour d’un enjeu pour faire collectivement changer les choses.
L’expression anglophone « grassroots » en incarne parfaitement l’idée. Les revendications partent du peuple, des fondations de la société, de ses racines, puis se propagent au courant dominant. Les racines supportent le reste de l'arbre et lui permettent de se tenir debout.
Les mouvements sociaux sont sans conteste des ensembles complexes et pluriels, souvent enchevêtrés, et il peut s’avérer difficile de les couvrir correctement.
Or, il est primordial de s’intéresser à leurs racines profondes, et d’accueillir l’expérience des gens directement touchés par l’injustice dénoncée.
L’image d’un panel de quatre hommes blancs grisonnants — les quatre mêmes chroniqueurs que d’habitude — qui commentent à chaud des sujets complexes sur les grands réseaux de télévision nous vient rapidement à l’esprit. Sont-ils réellement les mieux placés et les mieux informés pour parler d’enjeux sensibles, tel le racisme, les violences à caractère sexuel, l’environnement, ou plus récemment, l’épidémiologie?
Vous conviendrez comme nous qu’il est nécessaire de passer le micro à des gens directement touchés par les enjeux, ou encore à des experts et expertes qui savent de quoi il est question. Le tourbillon médiatique n’amène rien de neuf au débat social.
Le climat
La forêt n’est pas née d’hier. Elle a grandi lentement, influencée par son environnement et le climat, pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Le mouvement social, quant à lui, est également influencé par le climat — social cette fois-ci — qui lui permet de croître et de prospérer. Un mouvement peut rapidement devenir un symbole de ralliement générationnel qui dénonce un ras-le-bol persistant face aux injustices d’une société. L'implication citoyenne de la jeunesse autour des enjeux environnementaux en est un exemple frappant.
Alors, quand certaines personnalités médiatiques sous-estiment le rôle essentiel que joue une contestation sociale dans la démocratie, le climat social s’en voit entaché. Quand on a de l’influence, les termes péjoratifs (« chialeux », « paresseux », « crise du bacon », « gogauchiste ») pèsent lourdement sur la santé d’un mouvement. Comme le disait si bien l’oncle Ben à Peter Parker, alias Spiderman, « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ».
Se concentrer sur les images spectaculaires, les opinions, ou les comportements de quelques manifestants et manifestantes au lieu d’aborder sérieusement les plus grandes questions de notre temps, c’est peut-être bien pour les clics, mais moins pour le débat public.
C’est fixer son attention sur l’arbre qui cache la forêt.
Crédit-illustration: Rosalie Chartrand | @rococoroze