La vaccination mondiale bat son plein, et il est frappant de constater à quel point celle-ci est inéquitable : au moment où ces lignes étaient écrites, dix pays avaient administré les trois quarts des doses de vaccin disponibles tandis que 130 pays n’en avaient toujours pas reçu une seule. Un accès équitable et abordable aux vaccins représente pourtant la meilleure approche dans la lutte mondiale contre la pandémie.
En date du 1er avril, le virus a causé 2,8 millions de morts à travers le globe. La sortie de crise semble encore bien loin pour les pays dits en développement : au prix minimum actuel, ils devront débourser des montants équivalents à l’ensemble de leur système de santé pour vacciner les deux tiers de leur population.
Le prix prohibitif du vaccin et la lenteur de la campagne de vaccination tient surtout au fait que le vaccin est sous-produit. Cependant, plusieurs pays possèdent les capacités requises pour remédier à la situation, mais se retrouvent incapables de le faire sans les brevets nécessaires.
Démocratiser la production du vaccin
À l’heure actuelle, les États de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) évaluent une requête de l’Inde et de l’Afrique du Sud visant à lever les droits de propriété intellectuelle sur les vaccins et les technologies en lien avec la lutte contre la COVID-19. La requête fait l’objet d’une farouche opposition des pays occidentaux, dont le Canada, sous prétexte que ces règles sont nécessaires pour stimuler l’innovation.
Une telle préoccupation est légitime. La fonction des brevets est effectivement d’inciter les compagnies à innover en leur offrant l’exclusivité de la production des produits qu’elles développent, un vaccin dans le cas échéant. En bref, les pays occidentaux s’opposent à la requête parce qu’ils considèrent que les firmes innovent seulement si elles peuvent tirer profits de leurs recherches.
Le problème avec les règles actuelles, c’est qu’elles supposent que les firmes ayant conçu les vaccins doivent également les commercialiser elles-mêmes pour couvrir les dépenses de recherche. Or si les coûts pour son développement sont importants, le coût pour produire un vaccin lui est moindre. On peut ainsi supposer que les firmes renonceraient à produire elles-mêmes les technologies qu’elles développent si elles étaient récompensées convenablement pour leurs recherches, permettant ainsi d'entamer des processus de production accéléré à prix raisonnable.
Cette compensation viendrait du secteur public, qui joue déjà un rôle important dans le financement de la recherche. N’oublions pas que la compagnie Moderna a reçu 2,48 milliards de dollars de la part du gouvernement américain pour le développement de son vaccin, de quoi éliminer les risques financiers liés à un échec dans la recherche. Pour que les firmes acceptent de partager leur propriété intellectuelle tout en continuant leur activité innovante, le secteur public pourrait intervenir et les récompenser soit pour leurs efforts, pour leurs résultats, ou bien pour les deux.
Une autre voie est possible
Le monde regorge de capacités de production qui n’attendent qu’à être utilisées. Bien des pays émergents peuvent d’ailleurs rapidement s’adapter pour mettre ces capacités à disposition : il s’agit par exemple du cas de l’Inde et du Serum Institute, l’une des rares compagnies ayant obtenu une licence pour la production d’un vaccin occidental, soit celui du partenariat Oxford-Astrazeneca.
Une telle solution relève de l’accessible : en fait, l’assouplissement des droits de propriété intellectuelle a été un élément primordial de la lutte contre le sida. Alors que les traitements pour le sida existaient, mais étaient vendus à des prix prohibitifs, l’OMC a adopté la déclaration de Doha en 2001 qui a eu pour effet la production rapide de médicaments génériques peu coûteux dans des pays comme l’Inde et l’Afrique du Sud.
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