Le conflit du Darfour, qui a fait 300 000 morts et déplacé deux millions et demi de personnes, a été qualifié de « première guerre du changement climatique » par l’ancien secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU), Ban Ki-moon, en 2007. Cette affirmation a entraîné plusieurs travaux de recherche sur le sujet.
Les experts s’entendent pour dire qu’un conflit n’a encore jamais été directement et uniquement causé par les changements climatiques, mais reconnaissent qu’ils peuvent contribuer à l’amplifier ou exacerber les tensions qui le déclencheront.
Sécheresse du lac Tchad
Situé au carrefour du Nigeria, du Niger, du Cameroun et du Tchad, le lac Tchad est actuellement soumis à d’importantes sécheresses. La superficie du lac a déjà diminué à un peu moins que le vingtième de sa taille initiale.
« Depuis 2009, le lac Tchad est la cible de Boko Haram, le groupe sunnite pour la prédication et le djihad, et l’assèchement du lac vient intensifier les conflits dans la région », indique la chercheuse en résidence à l’Observatoire de géopolitique de la chaire Raoul-Dandurand, Mathilde Bourgeon.
« Étant donné que le lac rétrécit, de plus en plus de pêcheurs perdent leur emploi ou ne peuvent tout simplement plus l’exercer à cause de la diminution des ressources halieutiques et se tournent vers Boko Haram », explique le chercheur en résidence à l’Observatoire de conflits multidimensionnels à la chaire Raoul-Dandurand, Danny Gagné.
Inondations au Bangladesh
Le Bangladesh est un pays extrêmement soumis aux changements climatiques, selon Mathilde Bourgeon. « Tous les ans, pendant la mousson, le Bangladesh est inondé. Ils ont toujours plus ou moins géré, mais ces dernières années, ils vivent presque systématiquement des épisodes catastrophiques », souligne-t-elle.
En parallèle, la montée du niveau des mers pose une menace sérieuse sur le pays, privé de relief. « On estime que d’ici 2100, le niveau de la mer s’élèvera de 90 centimètres, donc 17% du Bangladesh disparaîtrait sous les eaux », ajoute la chercheuse. Selon elle, la population de ce pays déjà surpeuplé cherchera à se diriger à l’intérieur des terres.
« Il faut savoir que le Bangladesh est entouré de pays qui ne veulent pas nécessairement recevoir les réfugiés bangladais. L’Inde est actuellement en train de murer ses frontières avec le Bangladesh et le Myanmar a les mêmes plans, précise Mme Bourgeon. Les déplacés auront beaucoup de mal à sortir du pays et nécessairement des tensions seront créées ».
Disparition des Tuvalu et des Maldives
Les Tuvalu, situés dans l’ouest de l’océan Pacifique sud, et les Maldives, dans l’océan Indien, sont deux pays qui risquent de disparaître complètement avec l’élévation du niveau de la mer.
Dès 1989, les Nations Unies ont classé les Tuvalu comme l’un des pays les plus susceptibles de disparaître à cause des changements climatiques. « Les Tuvalu ont déjà entamé des négociations avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande et Taiwan, pour déplacer leur population dans ces pays-là. Ce sont des négociations, il n’y a rien de signé, mais le premier ministre tuvaluan commence déjà à anticiper la disparition de l’île », insiste Mathilde Bourgeon.
Les Maldives, quant à elles, envisagent plutôt la location d’îles à l’Arabie Saoudite ou encore la création d’îlots artificiels pour permettre à ses habitants de trouver une terre d’accueil en cas de crise.
Élévation du niveau de la mer en Côte d’Ivoire
Soumis à l’élévation du niveau de la mer, les villageois de Grand-Lahou, au sud de la Côte d’Ivoire, sont contraints de se déplacer vers les villages voisins. La chercheuse à l’observatoire de géopolitique considère que les mouvements migratoires peuvent être à l’origine de conflits entre les déplacés et les gens déjà sur place.
« Il y a eu une crise dans les dernières années en Côte d’Ivoire, et la pression démographique peut vite faire en sorte que les tensions s’exacerbent à nouveau et qu’un conflit renaisse », explique-t-elle.
Fonte de l'Arctique
« Il y a dix ans, on annonçait une guerre entre le Canada, les États-Unis et la Russie », se rappelle Danny Gagné, en référence à la fonte de l’Arctique et l’ouverture d’une route commerciale navigable au nord du Canada. « On se rend compte que la calotte glaciaire en Arctique recule. Il y a une nouvelle voie navigable qui s’ouvre, qui pourrait nous permettre de contourner le Canada par le nord. Ça accélérerait le trafic naval », explique-t-il.
L’enjeu est le suivant: un passage au nord-ouest diminuerait de 7 000 km la voie de navigation actuelle entre l’Atlantique Nord et le Pacifique par le canal de Panama, soit l’équivalent de 14 jours de navigation.
Si cette route commerciale s’ouvre, il importera de déterminer si elle se trouve en eaux internationales, la rendant ainsi librement navigable, ou en eaux canadiennes, donc soumise aux règles et à la surveillance canadiennes. « Pour l’instant, les discussions sont axées sur la coopération. Il y a une envie de négocier et de trouver des ententes, personne n’a envie de déclencher un conflit pour l’Arctique », conclut Mathilde Bourgeon.
Il y a plusieurs conséquences des changements climatiques qui peuvent aggraver des conflits. Le déplacement de la population lié aux questions de sécurité alimentaire et de moyens de subsistance est la première. Les migrations forcées provoquent des pressions démographiques qui exacerbent les tensions là où il peut déjà y en avoir, qu’il s’agisse de tensions ethniques, sociales, politiques, culturelles ou économiques.
Photo par Dan Gold, unsplash