Le gouvernement des îles Salomon a décidé, lors d'une réunion à Beijing le 21 septembre dernier, de reconnaître le principe de «Chine unique» et de considérer Taïwan comme une partie intégrante de son territoire, en délaissant tous liens diplomatiques avec les autorités de Taipei, la capitale de Taïwan, après 36 années de relations.
Les îles Salomon, ancienne colonie britannique, sont un archipel d’une douzaine d’îles principales et de 900 petites îles qui se situent dans l’océan Pacifique. Il s’agit du sixième pays allié à rompre ses liens diplomatiques avec Taïwan depuis l’arrivée au pouvoir de sa nouvelle présidente, Tsai Ing-wen, en 2016. Voulant bénéficier des avantages économiques promis par la Chine, l’archipel se range du côté de la puissance mondiale et considère lui aussi Taïwan comme une province chinoise, même si le territoire est indépendant, sans toutefois être reconnu légalement.
«La majorité [de la population] voulait que le nouveau gouvernement apporte des changements majeurs [à] l’économie», explique Lasa Gebe, native des îles Salomon. Pour elle, cet élément a été déterminant lors des élections en avril dernier. Une fois élu, le premier ministre, Manasseh Sogavare, a lui aussi revu les politiques extérieures de son pays. «Honnêtement, sur les questions économiques et politiques, Taïwan nous est totalement inutile», avait-il confié en juillet dernier à Graeme Smith, chercheur de l'Université nationale australienne.
Une question d’intérêts
La Chine promet d’investir et de développer les infrastructures ainsi que l’industrie touristique, une offre intéressante pour les îles Salomon, qui dépendent grandement de l’aide étrangère. La puissance asiatique devient d’ailleurs leur principal partenaire d’exportation, notamment grâce à l’exploitation forestière non réglementée et aux industries minières naissantes.
Dans le cadre d’un accord secret signé au lendemain de sa rupture avec Taïwan, l’archipel avait accepté de louer au groupe industriel China Sam l’une de ses îles dans le but de développer une «zone économique spéciale», selon des documents consultés par l’Agence France-Presse. Cet accord aurait conféré à l’entreprise le droit exclusif de développer Tulagi, une petite île de deux kilomètres carrés où se trouve un ancien quartier général japonais de la Seconde Guerre mondiale. L’accord sera toutefois résilié le 18 octobre, puisqu’il est jugé illégal selon le premier ministre salomonien, brimant les pouvoirs nationaux du pays.
En tout, cinq accords de ce type ont été signés par des entités chinoises après avoir solidifié leurs relations avec les îles Salomon, mais peu de détails sont connus pour l’instant. Ces accords confirment surtout l’intérêt de la Chine de poursuivre son influence dans l’océan Pacifique, une ambition qui s’inscrit dans les discours officiels afin de maintenir un environnement international stable.
«En tant que première économie [mondiale], la Chine a besoin d’étendre son influence. Avec le plan OBOR, ou Nouvelle route de la soie, déployé depuis 2015, la Chine souhaite créer une nouvelle route maritime, [et] bâtir des ports et des bases militaires à l’extérieur du pays. Les îles Salomon représentent donc une [minuscule] partie de la volonté de Pékin, considérant que la moindre petite île est importante pour elle», explique Jean-François Lépine, ancien reporter devenu directeur des représentations du Québec en Chine.
L’alliance américaine
L’océan Pacifique est l'un des espaces où Taïwan dispose du plus de soutien, mais le changement d'alliance de l’archipel permet à la Chine de déstabiliser ses rivaux et de leur faire concurrence. Selon le directeur de l’Observatoire de l’Asie de l’Est de l’Université du Québec à Montréal, Ting-Sheng Lin : «Si les petites îles du Pacifique ont traditionnellement fait affaire avec Taïwan, c’est que les Américains les ont encouragés à le faire en apportant une aide financière importante. Alors si la Chine a décidé d’intervenir davantage actuellement, c’est parce qu'il y a un réchauffement des relations entre Taïwan et les États-Unis. La Chine veut punir Taïwan.» En janvier 2020, les Taïwanais devront aller voter, et la perte d’un allié serait très grave pour un gouvernement au pouvoir, ajoute M. Lin.
Les États-Unis reconnaissent eux aussi l'existence d’une seule Chine. Toutefois, avec la rivalité grandissante entre Washington et Pékin, les récentes décisions prises par le gouvernement de Donald Trump révèlent une stratégie de soutien envers Taïwan, afin de défendre le territoire contre les pressions chinoises. Cette réalité a commencé à se faire voir en mars 2018 à l’intérieur du Taiwan Travel Act, une loi du Congrès américain qui encourage les hauts dirigeants américains à visiter leurs homologues taïwanais. Elle s’accentue depuis juillet dernier, lorsque Washington a offert 2,2 milliards de dollars en armement à l’État insulaire pour moderniser ses équipements.
Quant à Taïwan, elle a dû assumer le choix des îles Salomon et couper tous ses liens diplomatiques avec l’archipel. Bien que ce soit un coup dur à encaisser pour Taïwan, il ne sera pas fatal. Son réseau diplomatique contribue surtout à lui donner une voix et une certaine légitimité dans les organisations multilatérales, telles que l’Organisation des Nations unies, où elle n’est toujours pas représentée. Cependant, si Taïwan a pu jouir d’une souveraineté durable jusqu’à aujourd’hui, c’est principalement grâce au soutien économique et militaire américain.
Photo par Magalie Masson