Dans le but d’augmenter le taux de natalité, le gouvernement chinois a de nouveau allégé la politique de l’enfant unique en mai 2021, permettant maintenant aux familles d’avoir trois enfants. Les Chinois et les Chinoises vivent toutefois avec les conséquences sociales et économiques de la politique visant à réduire la croissance démographique de la Chine qui était en vigueur de 1979 à 2015.
En raison de la diminution des naissances et de l’augmentation de l'espérance de vie, la population chinoise est fortement vieillissante. Entre 2010 et 2020, l’Institut national d’études démographiques (INED) recensait 71,81 millions de personnes d’au moins 65 ans de plus. Ceci représente une augmentation de 4,8% d'aîné.es par année. Ce vieillissement est alarmant pour les services sociaux de la Chine. Il manque de jeunes pour s'occuper des aînés et le problème ne va pas s'améliorer de sitôt. Ces personnes âgées représentent un fardeau pour l'État chinois, qui n’investit traditionnellement que très peu dans ses services sociaux, tels que les maisons de retraite, explique André Laliberté, professeur titulaire à l'École d’études politiques de l’Université d’Ottawa.
« C’est un fardeau fiscal énorme, comme l’État chinois a beaucoup investi dans la modernisation des infrastructures [...] je suis très inquiet qu’ils ne soient pas prêts, qu’ils n’aient pas la volonté politique de développer et de bâtir des maisons de retraite, des hôpitaux pour les soins de longue durée, former des infirmiers et des infirmières », observe M. Laliberté.
Selon le professeur titulaire, des milliers de personnes âgées pourraient se retrouver sans soins, faute d’enfants pour s’occuper d’eux. Les services gouvernementaux pourraient ne pas prendre soin d’eux non plus, en raison d’un manque de service.
Un fossé entre les hommes et les femmes
La politique mise en place en 1979 cause aussi un grand déséquilibre entre le nombre d’hommes et de femmes au pays. En 2020, pour 100 filles naissaient 111 garçons, selon l’INED. Ce chiffre atteignait presque 118 garçons pour 100 filles en 2010.
La préférence traditionnelle des familles chinoises pour les enfants de sexe masculin a causé une vague d’avortements. « Puisque les parents ne pouvaient avoir qu’un enfant [...], plusieurs femmes ont choisi d’avoir un avortement, si c’était une fille », mentionne William Nee, chercheur et coordinateur pour Chinese Human Rights Defenders.
« L’élimination des petites filles à la naissance par des avortements sélectifs est un phénomène très répandu en Chine depuis maintenant une trentaine d’années. », explique Isabelle Attané, directrice de recherche en démographie et sinologie à l’INED.
Ce déséquilibre touche aussi les jeunes hommes qui sont maintenant en âge de se marier et qui ne peuvent pas trouver de partenaire de vie. « Une part de la population masculine, en particulier les hommes issus des milieux ruraux ou sociaux-économiques moins favorisés connaissent des difficultés importantes à se marier » soulève Mme Attané.
Selon Isabelle Attané, les femmes préfèrent généralement se fiancer avec des hommes d’une classe sociale supérieure. « Les femmes chinoises ont tendance à pratiquer l’hypergamie sociale, c’est-à-dire qu’elles cherchent [pour] la plupart d’entre elles, à se marier à des hommes d’une catégorie socioprofessionnelle supérieure à la leur [...] les hommes les plus défavorisés n'intéressent donc pas les femmes », ajoute-t-elle.
Mme Attané craint que la pression sociale mise sur les femmes pour qu’elles aient plus d’enfants fasse régresser leurs droits.
« Ma principale inquiétude serait plus dans l’autoritarisme que le gouvernement chinois est susceptible d’exercer vis-à-vis les couples, notamment les femmes, pour avoir davantage d’enfants », exprime-t-elle
Selon elle, cet autoritarisme pourrait se manifester par une interdiction, ou une forte restriction de l’avortement, ainsi que des pressions sur les femmes afin de rester au foyer.
Des inégalités au sein des familles
Les enfants nés à l'extérieur du cadre de la loi sont laissés pour compte. « Dans plusieurs cas, ces citoyens ont eu de la difficulté à avoir des documents officiels [...] cela peut avoir un impact sur leur accès à l’éducation. Ils ont [aussi] des difficultés à avoir accès aux services sociaux », précise William Nee.
« J’ai enseigné en Chine de 2001 à 2007 [...] J’ai enseigné aux finissants [et] la majorité d’entre eux avaient des frères et sœurs. Ensuite, j’ai enseigné aux étudiants de première année, et 90% d’entre eux étaient enfants uniques », explique M. Nee.
Il existe une différence importante entre les enfants nés avec des frères et sœurs et les enfants uniques quant à leur capacité à socialiser, selon le chercheur.
« Il y avait un réel fossé entre les deux groupes[...] ceux avec des frères et sœurs travaillaient beaucoup mieux en équipe et avaient plus de facilité à socialiser [...] tandis que plusieurs des enfants uniques, eux, ont fait face à de la solitude », illustre-t-il.
La société chinoise doit négocier avec divers enjeux démographiques et sociopolitiques, dans un pays où l'économie est certes florissante, mais où les droits de la personne sont bafoués.
Photo: Lucas Jallot