Malgré une hostilité grandissante de nombreux gouvernements européens face aux mouvements migratoires, le maintien des diverses concessions accordées aux travailleurs étrangers au cours de la pandémie favoriserait indéniablement une reprise économique soutenue.
Les enjeux de santé publique ont nécessité de nombreuses restrictions entourant les déplacements transfrontaliers, mais paradoxalement, cette mobilité constituerait le moteur des reprises économiques nationales. En regard du rôle de première nécessité des travailleurs étrangers, les gouvernements européens auraient avantage à travailler de concert quant à la gestion des enjeux liés à l’immigration. Pour Antonio Vitorino, directeur de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), la posture que devraient prendre les gouvernements à l’égard des flux migratoires aux sorties de la crise ne fait pas de doute: l’assurance d’une reprise économique soutenue post-covid ne pourra s’effectuer qu’avec la poursuite et l’accélération des migrations. Selon M. Vittorino, la réalisation de l’importance socio-économique de l’immigration doit s’accompagner d’un contexte migratoire inclusif, profitant à la fois aux travailleurs étrangers et aux intérêts des États. De ce fait, une coopération et une confiance accrues entre les États membres de l’Union européenne entourant les questions migratoires permettraient une gestion plus pragmatique de ces enjeux.
Toutefois, en dépit de ce constat, plusieurs États de l’Union européenne affirment que les mesures exceptionnelles mises en place dans le contexte de la pandémie ne mèneraient pas à une modification à long terme des politiques migratoires.
Le nouveau pacte européen sur la migration et l’asile présenté par la Commission européenne en septembre dernier semble d’ailleurs poursuivre l’habituelle rhétorique « anti-migrants ».
Pénurie de main-d’œuvre essentielle et crise sanitaire
La mise sur pause forcée des économies, doublée d’un manque criant de main-d'œuvre essentielle, a forcé de nombreux États européens à assouplir leurs politiques migratoires, permettant exceptionnellement le maintien des flux de travailleurs étrangers œuvrant dans des secteurs essentiels. Par exemple, l’Italie a octroyé des permis de séjour à de multiples travailleurs migrants sans-papiers et l’Allemagne a assuré le transport aérien de nombreux travailleurs saisonniers, provenant principalement de la Roumanie, pour venir en aide aux fermiers du pays.
En Europe, certains secteurs fondamentaux tels que l’industrie alimentaire, la construction, la garde d’enfants, ou encore l’assistance aux personnes âgées connaissent d’importantes pénuries de main-d'œuvre depuis de nombreuses années. Ces domaines d’emploi, requérant peu de qualifications, permettent aux travailleurs étrangers de combler les manques criants, contribuant ainsi à une relation de dépendance des États envers ces individus.
Selon l’Institut de l’économie du travail (IZA), environ 13% des travailleurs essentiels d’Europe seraient issus de l’immigration.
Cette proportion importante contribue à mettre en évidence le rôle vital des migrants dans l’opérationnalité des services.
Fermeture accrue des frontières : toujours envisageable ?
Si la crise sanitaire a été synonyme de nouvelles opportunités pour certains travailleurs immigrants, il est indéniable que la tendance européenne concernant les politiques migratoires nationales pointe vers la fermeture accrue des frontières. Selon Paul May, professeur titulaire au département de sciences politiques de l’UQAM se spécialisant dans les enjeux liés à l’immigration, la marginalisation des travailleurs immigrés se poursuit de plus belle. Il souligne que cela se produit notamment en « limitant le recours à l’asile politique, et en augmentant le budget alloué au contrôle des frontières européennes ».
L’interminable débat sur la question migratoire
Malgré le caractère essentiel des travailleurs étrangers au sein des économies nationales, la gestion des politiques migratoires au sein de l’Union européenne ne fait pas consensus. Selon M. May, il est possible d’observer un antagonisme idéologique parmi les membres de cette union en raison d’une divergence d’intérêts et de désaccords politiques. Alors que certains préconisent une coordination conjointe et supranationale des enjeux liés aux flux migratoires, d’autres revendiquent la souveraineté étatique de chacun, plaidant pour une gestion nationale de l’immigration.
Cette dichotomie conceptuelle vient ainsi complexifier la gestion des enjeux migratoires parmi les membres de l’Union européenne. Toujours selon le professeur, la crise sanitaire actuelle et les concessions qu’elle a permises aux travailleurs étrangers n’annoncent pas, sur le long terme, « une inflexion des politiques d’immigration à la faveur d’un plus grand accueil des immigrés ».
Alors que les économies européennes peinent à s’organiser pour un monde post-covid, les préoccupations migratoires semblent toujours obséder les gouvernements, au grand détriment des populations migrantes et d’une relance efficace.
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