La guerre tarifaire entreprise par le président Donald Trump a eu pour effet de donner une ferveur renouvelée au nationalisme canadien, qui imprègne les campagnes électorales des chefs de parti. Il a également comme effet pervers de détourner l’attention des Canadiens fiers qui y adhèrent des considérations véritables qu’ils devraient garder en tête en se rendant aux urnes.
Entre l’inflation, la menace de récession et les pertes d’emploi qu’amènent les tarifs douaniers, l’avenir de l’économie canadienne post-tarifs est trouble. Le Canada, qui se remettait graduellement de la récession engendrée par la pandémie, se voit jeté dans l’incertitude. Les lubies de Trump viennent fragiliser cet équilibre précaire.
Si le gouvernement canadien venait à riposter par l’instauration de contre-tarifs, les conséquences se feraient ressentir d’abord par le consommateur. Dans un contexte où les citoyens craignent pour leur capacité à subvenir à leurs besoins, il est naturel que les relations canado-américaines et ce qu’elles impliquent pour le coût de la vie soient un facteur déterminant aux élections imminentes.
Lorsque Trump s’attaque au Canada en suggérant son annexion comme 51e état, il crée une frustration chez ses voisins du Nord. Ces menaces provoquent une remise en question de l’identité nationale canadienne : en quoi déjà sont-ils différents des Américains? Les Canadiens se conforment donc à cette affirmation identitaire, en boycottant des produits américains ou en huant l’hymne national des États-Unis.
Le nationalisme se revendique d’un discours unificateur appelant à la défense des intérêts de la nation. Il est cependant employé pour justifier le sacrifice des mêmes citoyens dont il se prétend être au service. Aux États-Unis, Trump sacrifie l’économie au nom de la libération et pousse les électeurs à qui il avait promis la prospérité près d’une crise économique.
Bien qu’aucun des candidats dans la course n’équivale à l’excès de Trump, les promesses qu’ils font au nom d’un Canada uni et fort pourraient avoir un effet similaire.
L’identité nationale ne peut pas se construire en rapport à une autre, et l’identité canadienne ne doit pas se formuler en réponse à l’identité nationale américaine. Sans quoi, elle laisse de côté les préoccupations centrales et limite la prise en charge de réalités avec lesquelles le pays doit composer. L’identité collective se bâtit dans la distinction entre ce qui est canadien et ce qui ne l’est pas. Les limites de cette identité laissent alors derrière elle les citoyens qui ne s’y conforment pas.
Les actions de Trump ont une influence majeure sur la politique de l’autre côté de leur frontière. Cela est indéniable, sauf que les préoccupations américaines ne devraient pas monopoliser le débat. Lorsque les électeurs considèrent que la question de l’urne porte sur les relations canado-américaines, ils oublient l’ensemble des réalités auxquelles eux et leurs concitoyens font face. Quand l’effort politique est mobilisé pour faire front aux États-Unis, il ne l’est pas pour traiter de toutes les autres questions qui touchent tout autant les Canadiens et qui demandent des solutions.
Les crises du logement et des opioïdes, qui traversent le pays d’une côte à l’autre, la transition énergétique, la réconciliation avec les Premières Nations : les Canadiens votent pour un grand nombre de considérations. La guerre tarifaire, bien qu’importante, et le vent nationaliste qu’elle fait souffler sur le Canada ne peuvent pas dicter à eux seuls les décisions des Canadiens le 28 avril. Un vote par fierté, pour faire barrage aux États-Unis, ce n’est pas un vote pour la pérennité du Canada.