Dans un contexte de fragilité politique, des femmes soudanaises s’unissent et demandent une réforme étatique et juridique, afin d’obtenir l’égalité des droits. Cette longue lutte contre un système oppressif les amène à mettre leur vie en danger, même pour avoir le droit de manifester.
En novembre 2019, le gouvernement a abrogé une loi sur « l’ordre moral et public », qui interdisait aux femmes de danser avec des hommes, ou encore même de porter des pantalons. Même si certains et certaines voient cette décision comme un pas de géant pour les femmes soudanaises, celles-ci sont encore loin d’obtenir l’égalité juridique.
« D’entrée de jeu, il faut savoir que le Soudan n’est pas particulièrement un État de droit, affirme France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie International Canada Francophone. C’est un État qui est extrêmement répressif pour tout le monde, où les libertés de protestations et de manifestations sont particulièrement encadrées […] et, pour les femmes, c’est toujours pire. »
Depuis le coup d’État de 2019 où les forces armées ont pris le contrôle du gouvernement, la situation politique du Soudan est de plus en plus précaire et instable. « L’instabilité est un frein à des changements, surtout de cette nature-là », explique Mme Langlois.
Une égalité loin d’être acquise dans une politique encore masculine
Une nouvelle constitution de transition au Soudan garantira une représentation féminine de 40% au sein du caucus parlementaire soudanais, soit 120 sièges. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a lancé en 2020 une campagne visant à recruter et à former des jeunes femmes afin qu’elles se présentent aux élections du conseil législatif de transition, plus tard en 2022. 1070 femmes ont été encouragées à se lancer. Toutefois, le PNUD dénote que les femmes conservent certaines réticences à prendre part à la politique, notamment le système patriarcal du pays, les normes culturelles et sociales discriminatoires et le manque de responsabilisation des femmes.
Selon la responsable des programmes d’Afrique et d’Asie de l’organisme Inter Pares, Mehreen Amani Khalfan, moins de 10 Soudanaises sont actuellement dans la sphère politique. « On demande aux femmes de se joindre aux causes sociales, mais elles ne sont pas les bienvenues en politique », souligne-t-elle. Celle-ci affirme aussi que plusieurs activistes estiment que les lois inégales à l’égard des femmes sont en vigueur parce que le gouvernement est encore composé de gens qui adhèrent aux mœurs des anciens régimes.
D’ailleurs, selon la féministe et défenseuse des droits sexuels et reproductifs des femmes, Sanaa Makawi, il existe une grande différence entre les politiciennes soudanaises, issues de « l’ancienne génération » et les femmes qui se trouvent dans les rues. « Les politiciennes ne parlent pas assez de l’accès à l’avortement, des droits de la personne sur son corps et de la liberté de choix, déclare Sanaa Makawi. Nous avons besoin qu’elles déposent un acte afin d’abolir le discours misogyne des extrémistes qui sont véhiculés par certains hauts placés dans le gouvernement ».
Aide internationale
Selon Mme Makawi, l’aide internationale et les médias jouent un rôle important dans l’avancée de la cause féministe. « Nous avons besoin de l’aide internationale, surtout en ce moment. Les médias internationaux doivent parler de ce qui se passe [au Soudan] », note-t-elle.
Elle souligne que l’accès à l’internet est souvent fragilisé, voire inaccessible. Dans le même ordre d’idée, la docteure Sara Abdelgalil, membre du groupe Sudan’s Doctors For Human Rights, a affirmé lors d’un webinaire sur la condition féminine au Soudan que l’attention médiatique aidera à protéger les militantes et à retrouver celles qui sont disparues. Pour France-Isabelle Langlois, « on doit changer la façon de faire de nos gouvernements pour que les intérêts électoralistes et économiques pèsent moins dans la balance ».
Les droits humains sont au cœur des manifestations, surtout en ce qui concerne la condition féminine. « De mon point de vue, la liberté des femmes commence avec la liberté de leur corps, et c’est ce que nous [les femmes soudanaises] n’avons pas encore », affirme Sanaa Makawi. Celle-ci dit craindre constamment pour sa vie et pour celles de ses amies.
« Les femmes doivent pouvoir militer pour l’obtention de leurs droits sans avoir peur pour leur vie. Leur voix aura une plus grande portée si elles se sentent en sécurité », explique Sara Abdelgalil.
Photo: Magali Brosseau