Agressions, harcèlement et exploitation: le rapport rendu public le 26 août dernier témoigne des abus sexuels que subissent les femmes de Mollywood, l’industrie cinématographique de l’État indien du Kerala. Depuis sa publication, davantage de victimes osent dénoncer et parler de leur expérience dans le secteur.
L’industrie du cinéma rend les femmes particulièrement vulnérables à l’exploitation. Beaucoup d’entre elles viennent de loin, sans argent et sans expérience, dans le but de réaliser leur rêve de faire carrière dans le métier, mais cela s’avère difficile, selon Isha Sahai Bhatnagar, étudiante en cinématographie à l’Université Concordia et spécialiste des questions de genre dans le cinéma indien. « Les gens au pouvoir profitent des nouvelles personnes parce qu'ils savent qu'elles sont prêtes à tout pour obtenir un rôle, pour se faire remarquer. »
Exploiter ces aspirantes actrices et leur faire garder le silence devient facile. Le rapport d’enquête mentionne, par exemple, que les femmes se font menacer de ne plus pouvoir travailler dans l’industrie si elles parlent d'abus.
À la suite de l’enlèvement et du viol collectif d’une actrice en 2017, un rapport d'enquête est remis au gouvernement du Kerala en 2019 par la commission d'enquête Hema, mais est seulement publié en 2024. Le document de 235 pages dénonce les discriminations et les abus que vivent les femmes dans le cinéma indien de façon systémique. Il est, entre autres, question de sollicitations agressives, de harcèlement et d’agressions sexuelles, ainsi que de l’absence de vestiaires et de toilettes pour les femmes. La pratique de la « promotion canapé », c’est-à-dire l’exigence de faveurs sexuelles en échange de rôles, est aussi répandue.
« Le rapport est problématique, car il ne s'agit pas d'une affaire d’harcèlement sexuel au niveau individuel. Il fait tomber toute l’industrie Mollywood. Les auteurs et les accusés sont des hommes au pouvoir. Ce sont des réalisateurs, des producteurs, des acteurs vétérans », explique Isha Sahai Bhatnagar.
À son avis, le délai de publication du rapport a protégé ces hommes pendant plusieurs années. Mollywood est une grosse industrie dans le pays, ayant généré l’équivalent de plus de 13 milliards de dollars canadiens de janvier à avril 2024 seulement. Les accusations contre plusieurs grands noms du milieu ont donc surpris le public.
Des changements à l’horizon ?
La sortie du rapport et les dénonciations qui s’en sont suivies ont suscité des discussions sur la violence et les abus sexuels en Inde. Bien que l’enquête repose sur la situation à Mollywood, elle permet aussi aux femmes faisant partie d’autres milieux de partager leur expérience.
« Par exemple, les femmes des partis politiques disent que ce genre d'intervention est nécessaire, parce qu’elles sont également confrontées à ce genre de problèmes, mais personne n'est là pour le signaler. Alors, doucement, ces choses ressortent », affirme Sandhya Janardhanan, la secrétaire du Sakhi Women’s Resource Centre, une organisation pour les femmes basée dans l’État du Kerala depuis 27 ans. Selon elle, le but est que ces discussions mènent à des changements concrets et permanents.
D’après Isha Sahai Bhatnagar, il est possible pour l’industrie de changer, mais cela n’arrivera pas du jour au lendemain. « […] Il faut beaucoup plus de sensibilisation [sociale] et d'éducation [sexuelle]. Il faut changer collectivement en tant que société pour éventuellement voir une différence », exprime-t-elle.