Pendant que les soldat(e)s ukrainien(ne)s combattent l'armée russe depuis février 2022, une nouvelle ligne de front se dessine : celle de la résistance culturelle. Celle-ci se joue non pas sur les champs de bataille, mais dans les musées.
Odessa, cité portuaire bordant la mer Noire, se démarque par son patrimoine unique reconnu par l’UNESCO. La ville a été le théâtre de bombardements depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, touchant de nombreuses institutions culturelles, comme le Musée des Beaux-Arts d’Odessa.
Avant même les premières attaques dans la région, l'établissement avait entrepris des opérations de prévention avec plusieurs organismes, dont l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine (ALIPH), qui veille à la sauvegarde du patrimoine dans les zones de conflits. Ils ont notamment offert du soutien aux équipes chargées de la conservation et fourni du matériel pour empaqueter les œuvres.

5 novembre 2023. Un missile russe tombe juste devant l’entrée du Musée des Beaux-Arts d’Odessa. Fenêtres éclatées, murs fissurés et tableaux au sol: il s'agit de l'attaque la plus importante qu'a subie l'institution depuis le début de l’offensive russe en Ukraine. ALIPH est intervenu immédiatement en effectuant des travaux de premiers secours.
Résilience
Les étapes les plus complexes, selon Valéry Freland, directeur général à ALIPH, sont celles qui se déroulent après les frappes, c’est-à-dire la stabilisation et la restauration. « C’est compliqué, car il ne faut pas restaurer quelque chose qui pourrait être à nouveau endommagé dans les prochaines semaines », explique-t-il. Il souligne qu’il est tout de même important d’effectuer ces travaux pour envoyer un signal d’espoir au personnel du musée, qui a besoin de soutien non seulement financier, mais aussi moral.
Malgré tout, les équipes des musées font preuve d’une grande résilience, qui prend forme notamment dans les choix des expositions. Dès 2021, le musée a rangé certaines œuvres soviétiques pour faire plus de place à des artistes contemporains ukrainien(ne)s.
Un an plus tard, avec le début de l’invasion, le Musée des Beaux-Arts a commencé à monter des collections directement reliées à la résistance ukrainienne, comme celle intitulée « Je reprendrai ma vie en main, je te le promets », qui présente des photographies de Maksym Kryvtsov, décédé le 7 janvier alors qu'il accomplissait son service militaire.

Une guerre culturelle
Selon Vincent Négri, chercheur à l’Institut des Sciences sociales du Politique à Paris et spécialiste du droit international de la culture et du patrimoine, ce phénomène de « dérussification » des institutions culturelles n’est pas surprenant en raison du contexte. « Un tel conflit armé constitue un terreau fertile pour que se développe un nationalisme très identitaire », décrit-il. Par contre, il précise que la Russie ne cherche pas nécessairement à effacer la culture ukrainienne. La situation est plus complexe, car la culture russe est d’une certaine façon imbriquée dans celle de l’Ukraine, selon le chercheur.
À ce jour, alors qu’Odessa continue d’être la cible d’attaques russes, le musée des Beaux-Arts demeure ouvert. Selon l’UNESCO, ce sont 485 sites patrimoniaux qui ont été endommagés en Ukraine depuis février 2022.
Photo: ALIPH