Parcs éoliens déployés sur l’ensemble du pays, multiplication de barrages hydroélectriques et unification politique : ce sont les mesures que l’Uruguay a mises en place depuis 15 ans pour décarboner le pays et devenir un exemple pour l’Occident.
Le physicien et ancien directeur national de l’Énergie Ramón Méndez se remémore avec fierté ce que ces mesures ont permis d’accomplir. « Nous avons montré que [ce projet] a réduit de moitié le coût de l’électricité », déclare-t-il. L’Uruguay réussit depuis déjà plusieurs années à atteindre une production d’énergie à 99,1 % renouvelable grâce à une pluralité de sources d’énergie. « Quelque 50 % de l’énergie produite provient de l’hydraulique, 40 % de l’énergie éolienne et le reste est partagé entre le solaire et la biomasse », décortique l’ingénieur en environnement et professeur adjoint au département d'écologie et de gestion environnementale de l’Université de la République, Rafael Bernardi.
« Maintenant, on produit un surplus [d’énergie]. Parfois, on vend ce surplus au Brésil ou à l’Argentine », ajoute M. Bernardi. Ce virage est le cœur de l’essor économique du pays depuis les 15 dernières années. Ainsi, on retrouve maintenant 3% de la force de travail nationale qui est employée par l’Administration nationale des centrales électriques et des transmissions électriques (UTE).
Genèse
Sans puits de pétrole, sans mines de charbon ou de réserves de gaz naturels, l’Uruguay était entièrement dépendant de l’importation de ces ressources pour combler la demande énergétique. S’ensuit, en 2008, une crise énergétique et économique qui place l’Uruguay dans une position vulnérable. Le prix du baril de pétrole augmente de façon critique et le président de l’époque, Tabaré Vázquez, se retrouve obligé d’acheter de l’énergie à ses voisins, l’Argentine et le Brésil, à des prix élevés.
« Une transition ne peut dépendre d’une administration, d’un gouvernement [...] elle doit faire partie d’un accord politique et social qui dicte que cela est le chemin que le pays doit prendre » - Ramón Méndez
Le président Vázquez fait alors appel à un physicien qui changera le visage énergétique de l’Uruguay ainsi que la trajectoire économique et sociale du pays. Ramón Méndez est nommé directeur national de l’Énergie. Son défi : mettre en marche la transition énergétique du pays afin de rendre ce dernier énergétiquement indépendant. Sa vision de l’énergie, lancée et implantée grâce à ces mesures il y a maintenant 15 ans, a su résister aux changements politiques.
Cette volonté transpartisane est une des clés du succès de cette transition, selon M. Méndez. « Une transition ne peut dépendre d’une administration, d’un gouvernement [...] elle doit faire partie d’un accord politique et social qui dicte que cela est le chemin que le pays doit prendre », ajoute-t-il. Aller à la rencontre des gens pour leur expliquer les bases et le potentiel du projet, préparer l’arrivée de parcs éoliens sur le territoire uruguayen et évaluer les zones propices à accueillir les moulins à vent ont été les étapes clés pour générer les conditions sociales et économiques propices à l’investissement des secteurs public et privé.
Début ardu
Si le pays s’est aujourd’hui doté d’un savoir-faire en informatique et en construction de parcs éoliens, le professeur Rafael Bernardi se rappelle comment cette aventure a commencé. « En 2005, le seul moulin disponible se trouvait sur une colline et c’était un prototype. De là, ils ont développé un parc éolien et, en 2008, la compagnie d'énergie de l’État [UTE] a commencé à signer des accords avec des investisseurs privés », ajoute-t-il.
« Si vous changez le cap, en cours de route, la perte est absolue, totale, parce que, quand on freine, on recule » - Ramón Méndez
Selon le physicien Ramón Méndez, ce développement rapide est dû à un choix politique de ne pas laisser les gouvernements subséquents tout couper à mi-chemin. « Si vous changez le cap, en cours de route, la perte est absolue, totale, parce que, quand on freine, on recule », ajoute-t-il.
Industries polluantes
À l’image du reste de la planète, l’Uruguay fait aussi face au défi environnemental de la mode éphémère. Eloisa Ponce de León est la coordonnatrice de Fashion Revolution, un organisme qui sensibilise la population sur les effets écologiques de l’industrie du textile. Elle admet que, malgré les connaissances de la population sur le sujet, le portefeuille reste un facteur déterminant dans la prise de décision. « Les Uruguayens sont conscients que la qualité n’est pas la même, que ce n’est pas la meilleure façon, ni pour l'environnement ni pour les gens, mais que c’est le plus économique », précise-t-elle.
Mme Ponce de León reste cependant optimiste, sachant que son pays est capable d’appliquer les savoir-faire de la transition énergétique et d’utiliser le pragmatisme uruguayen face à des industries polluantes. « Il y a toujours eu cette habitude de donner au suivant. Les gens achètent local, n'achètent que le nécessaire et réutilisent les résidus alimentaires. [...] les gens apprécient avoir des commerces locaux à proximité », ajoute-t-elle.
Photo: Domaine Public