Le nouveau chef du gouvernement temporaire a promis de mener la Syrie vers la démocratie. Cependant, des massacres visant la minorité alaouite et la proximité du président par intérim avec le djihadisme inquiètent des expert(e)s.
Lors de sorties médiatiques, le président par intérim de la Syrie, Ahmed al-Charaa, a laissé entendre que ses priorités seront de sécuriser le pays et de rebâtir l’État syrien dans l’optique de tenir des élections. « [Le discours d’al-Charaa] est bien centré sur le fait que […] la révolution a pris fin et que, maintenant, il faut s'engager dans la logique de l'État, ce qui est important quand on a une période de transition », affirme Sami Aoun, professeur émérite en science politique à l’Université de Sherbrooke.
Il ajoute que, même si les doutes persistent sur les intentions d’al-Charaa, notamment en raison de ses liens avec des organisations islamistes, « les mesures d'évaluation devraient être sur ses actes ». « Pour l'instant, ses paroles et ses discours ne sont pas alarmants pour un djihadiste islamiste », affirme M. Aoun. Il fait entre autres référence à la promesse de former un nouveau gouvernement et de tenir une conférence de dialogue national pour sonder les priorités de la population. Au moment d’écrire ces lignes, la nomination du nouveau gouvernement se fait toujours attendre.
La conférence a été marquée par les débats. Cependant, selon M. Aoun, malgré l’initiative qui se veut louable, l’organisation « discutable » et l’absence des Kurdes ont entaché cette initiative. La minorité kurde lutte toujours pour sa reconnaissance et son autodétermination au nord du pays. Il s’agit d’un problème épineux pour le nouveau régime.
À la suite des recommandations des participant(e)s de la conférence, le président par intérim a nommé un comité de sept personnes, dont deux femmes, afin de rédiger une nouvelle constitution selon les principes de l’État de droit. D’après al-Charaa, rédiger la nouvelle constitution pourrait prendre trois ou quatre ans.
Légitimité contestée
L’arrivée d’une nouvelle figure au pouvoir a été généralement bien reçue à l’international, affirme M. Aoun. « [Le nouveau gouvernement] a continué d’importantes manœuvres qui font plaisir à Israël, aux États-Unis et à l’Europe », évoque-t-il.
Le gouvernement de transition a détruit les laboratoires de drogue à base d’amphétamine, gérés par le Hezbollah libanais. L’Iran, de son côté, ne voit pas le changement de gouvernement d’un bon œil, car elle perd un allié important dans la zone, explique M. Aoun. Avant la chute du régime d’al-Assad, la Syrie était le corridor d’approvisionnement principal de l’Iran vers le Hezbollah.
À l’intérieur même de la Syrie, le gouvernement par intérim est critiqué et vu comme illégitime, explique Ruby Dagher, professeure de l'École de développement international de mondialisation à l'Université d'Ottawa. « Il y a plusieurs groupes qui ne l'acceptent pas », ajoute-t-elle, en prenant l’exemple des Druzes, des Alaouites et des Kurdes. « [Ahmed al-Charaa] a un problème majeur pour l'instant, il a fait une alliance avec d'autres groupes armés pour atteindre le pouvoir. »
«[Le nouveau gouvernement] n’est pas légitime aux yeux de la majorité de la population et des autres chefs régionaux, qui n'ont pas accepté qu’il dirige la Syrie. La partie de la Syrie que Hayat Tahrir al-Sham (HTS), groupe armé à la tête de l’offensive éclair qui a mené à la chute du régime Assad, contrôle est une petite partie [du territoire] », affirme Mme Dagher.
Ahmed al-Charaa, anciennement connu sous son nom de guerre d'Abou Mohammed al-Joulani, a d’abord été chef djihadiste avant d’être président intérimaire syrien. Après avoir combattu en Irak sous le drapeau d'Al-Qaïda, il a fondé le Front al-Nosra en Syrie, qui s'est ensuite transformé en HTS. Ses opposants lui reprochent d’avoir été le chef de groupes connus pour leur violence. Depuis son arrivée au pouvoir, il assure que sa priorité n’est pas de faire de la Syrie un « État islamique », mais plutôt une démocratie.
Sécurité menacée
Pour sécuriser le territoire syrien, le gouvernement de transition a encore du travail à faire, renchérit M. Aoun. Depuis la chute du régime, des massacres et des mesures discriminatoires visent principalement la communauté alaouite, dont fait partie la famille de l’ex-président, explique l’expert.
Sylvain Mercadier, journaliste indépendant et correspondant au Moyen-Orient, constate également la mise en place de « mesures discriminatoires » qui visent cette communauté.
« Les enlèvements et les brimades sont des choses quotidiennes et omniprésentes. Ça fait un mois et demi que je suis là et je suis de moins en moins optimiste que les choses vont bien se passer. Ahmed al-Charaa a promis la tolérance, la sécurité, l'inclusion, le dialogue. C'est plutôt la position du plus fort qui impose un peu son programme politique », explique-t-il.
Photo: Kremlin.uk