Au Brésil, la communauté de São José de Pinheiro reprend activement le contrôle de son histoire en érigeant un musée et une école de jongo sur les terres d'une ancienne plantation esclavagiste.
La musique et l’histoire sont aujourd’hui au cœur de la communauté de São José do Pinheiro, située au sud-est du Brésil, là où, il y a deux siècles, se trouvait l’une des principales plantations de café du pays. Ces cultures représentaient, au XIXe siècle, 70 % de l’économie brésilienne et c’est sous le pouvoir de Joaquim José de Souza Breves, un riche propriétaire de plusieurs plantations de café au début du 19e siècle, qu’environ 500 esclaves étaient contraint(e)s de travailler à São José do Pinheiro.
Aujourd’hui transformée en une petite ville de 25 000 habitant(e)s nommée Pinheiral, dont la majorité sont des descendant(e)s d'esclaves, cette localité a fait de la réappropriation de son histoire et de son territoire un objectif majeur. La population a ainsi érigé un musée et une école de jongo, une danse afro-brésilienne toujours vivante, qui trouve ses racines chez les esclaves.
La patrimonialisation du jongo
Elaine Monteiro, professeure à l'Université Fédérale Fluminense au Brésil, s’intéresse au patrimoine culturel noir de la région du sud-est du Brésil. Elle souligne que les ancien(ne)s propriétaires des plantations, tels que les frères Breves, ont bâti leur richesse non seulement sur le commerce du café, mais aussi sur la traite des esclaves.
Mme Monteiro ajoute que la pratique du jongo représentait, à l’époque, une forme de résistance, une façon pour les esclaves de s’exprimer et de lutter contre l’oppression. À son avis, le jongo ne serait pas qu’une danse, mais aussi « une expression culturelle brésilienne des peuples asservis ».
Dans la ville de Pinheiral se trouve d’ailleurs l'un des groupes de performance de jongo les plus importants de l'État de Rio de Janeiro. Hebe Mattos, historienne spécialisée dans l'esclavage qui travaille directement avec la communauté de Pinheiral, affirme que la danse, le chant, la fabrication et le jeu d’instruments de percussion sont au coeur du jongo.
La narration des aîné(e)s qui y est également intégrée est une manière pour le groupe de performance de jongo du Sud-Est « d’évoquer les souvenirs des anciennes plantations de café », précise Mme Mattos.
La mémoire : pierre angulaire du projet
Carla Francisco, spécialiste en art brésilien et professeure au département d’histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal, rappelle que, dans les milieux ruraux, la tradition orale reste primordiale.
Pour les descendant(e)s d'esclaves, le fait d’avoir construit une école de jongo est une manière holistique de préserver la culture noire dans la ville. « Ce processus de patrimonialisation, qui inclut la création d’une école, d’un musée et d’une économie locale, est essentiel pour maintenir cette mémoire vivante. Si elle se contente d’être préservée par l’oralité, elle risque de disparaître avec la mort des aînés », avance la spécialiste.
L’école offre l’opportunité de transmettre les savoirs aux jeunes générations et de les reconnecter à l’histoire locale, plus particulièrement à celle de leurs ancêtres. L’institution permet aussi de développer un tourisme de mémoire, soit un moyen pour cette communauté de gérer son propre patrimoine culturel.
Des touristes conscientisés
En parallèle, la construction du musée et de l’école de jongo offre une alternative aux touristes, qui visitent d’autres anciennes plantations de café qui ne prennent pas en compte l'histoire des esclaves y ayant vécu.
Souvent organisées par les héritiers et les héritières des ancien(ne)s propriétaires, « ces types de visites mettent en place une sorte de représentation des rapports hiérarchiques entre les personnes blanches et les personnes noires », indique la professeure Carla Francisco. Dans certains cas, des habitant(e)s se déguisent même en esclaves pour « divertir » les touristes.
La création de ce nouvel espace culturel par la communauté de Pinheiral permet ainsi aux descendant(e)s d'esclaves de reprendre le contrôle de leur histoire.
D’autre part, c’est aussi une manière de promouvoir le développement économique local en lien avec le tourisme de mémoire. Financé en partie par le gouvernement brésilien, ce projet représente un pas dans la bonne direction, selon Carla Francisco. « Avec le gouvernement de Bolsonaro, le financement a été coupé dans la culture. Là, l'argent revient, mais il faudrait un investissement massif pour que ce type de projet soit élargi », observe-t-elle.
Elle ajoute que l’aide financière apportée par l'administration publique aide la communauté de São José de Pinheiro à récupérer son récit. Ce processus de réappropriation est une manière de permettre aux membres de cette communauté « d’être les protagonistes de leur histoire et de ces pratiques culturelles qui sont présentées comme une résistance », affirme Mme Francisco.
Photo: Dhan Sugui