Les Yéménites font ce qu’ils et elles peuvent avec le peu de ressources à leur disposition dans un pays morcelé par les conflits qui ne voient pour l’instant aucun dénouement à l’horizon.
Au Yémen, le sport est atteint de plusieurs manières et les infrastructures sportives en sont les premières victimes. Selon un article du média iD4D, 70 % à 80 % des infrastructures sportives yéménites ont été détruites ou grandement endommagées par les conflits armés.
D’après Ali Khousrof, un judoka yéménite, le soutien que le gouvernement apporte au sport a souffert de la guerre au Yémen. À cet effet, le détenteur de plusieurs titres internationaux affirme que « le gouvernement apportait peu d’aide [aux athlètes yéménites], que ce soit pour trouver des gymnases ou pour les encourager à continuer leur pratique sportive ». Celui qui s’est qualifié deux fois pour les Jeux olympiques avance qu’il s’agit de l’une des raisons pour lesquelles plusieurs yéménites quittent le milieu sportif .
Khaled Al Khaled, journaliste yéménite résidant en France, ajoute que la crise économique, qui découle de la guerre au Yémen, aggrave la situation. Il précise que les sports les plus populaires, tels que la boxe et le football, survivent, mais que d’autres moins connus ont complètement cessé, faute de budget.
Le sport, victime de la politique
« Le sport est très influencé par la politique », exprime M. Al Khaled. Il explique que si les athlètes ne prennent pas position politiquement, les instances le font. Il illustre ses propos en mentionnant les stades qui affichent des photos du roi Salmane et des Émirats arabes unis. « Ces patronages ont suscité des manifestations », affirme le journaliste.
Il ajoute aussi que des clubs sportifs ont recruté plusieurs jeunes pour en faire des enfants-soldats, ce qui a mené au bombardement de leur infrastructure. Chercheur au sein de l'Équipe Monde Arabe et Méditerranée (EMAM) de l'université de Tours, Raphaël Le Magoariec abonde en ce sens.
Certains stades soupçonnés d’avoir été utilisés pour cacher des armes ont été victimes du même sort. M. Al Khaled explique que plusieurs missiles ont été lancés sur l’Arabie saoudite et sur les Émirats arabes unis, sans qu’on en connaisse la provenance. Leur coalition réplique arbitrairement et les stades ne sont pas épargnés.
La pratique sportive, un combat en soi
La pratique sportive survit grâce aux trêves et dans les régions moins touchées par la guerre, affirme M. Le Magoariec. Il précise que, comme le Yémen est fragmenté, les conflits ont moins touché l’ouest du pays. De ce fait, certaines fédérations sportives ont décidé de s’y installer.
M. Al Khaled précise tout de même que les conflits, la crise économique et les bombardements civils fragilisent ce qui reste des pratiques sportives. Il est inconcevable pour les athlètes de haut niveau de se bâtir une carrière professionnelle. Ali Khousrof et ses collègues, par exemple, ont dû se battre pour continuer à pratiquer le judo.
Pour plusieurs athlètes professionnels, la solution est plutôt de quitter le pays. C’est ce qu'ont notamment fait certains joueurs de football, explique le chercheur. Le Qatar, ainsi que d’autres pays du Golfe, ont accueilli plusieurs d'entre eux.
En revanche, les athlètes qui adoptent cette solution demeurent faibles en nombre et on compte peu d’émigrations, rapporte M. Al Khaled. D’après ce dernier, la difficulté à sortir du pays explique ce phénomène. « Toutes les portes sont fermées », se désole-t-il. Il donne en exemple Hilal al-Haj, le champion de kung-fu qui s’est noyé dans la mer Méditerranée en septembre 2019, alors qu’il fuyait la guerre pour aller pratiquer son sport en Europe.
Le simple déplacement entre les villes pour des participations sportives extérieures constitue un danger, exprime le judoka Ali Khousrof qui s’est souvent déplacé. « La fermeture de l’aéroport de Sana’a m’a forcé à prendre l’avion dans d’autres villes. Les conditions de sécurité précaires étaient préoccupantes pour ma famille et pour tous mes copains », déclare-t-il.
Relancer le sport
La ville de Say’un, dans l’ouest du pays, n’a pas été affectée par la guerre. M. Le Magoariec souligne donc que les joueurs de la sélection de football du Yémen qui avaient quitté le pays sont revenus, dans l’espoir de bénéficier des infrastructures en place.
Quant à celles qui ont été bombardées, l’espoir est moins grand. « On ne sait pas si elles vont être reconstruites. La coalition a dit [que ce serait le cas] une fois que les houthis allaient se rendre. », explique Khaled Al Khaled. Il est toutefois sceptique quant au réalisme d’une telle finalité. « On ne sait pas ce qui va arriver demain », se désole le journaliste, pour qui l'avenir du sport au Yémen, tout comme celui de la guerre, reste incertain.
Photo : Florence Beaudoin