Des rappeuses marocaines dénoncent les conditions des femmes dans leur pays en expliquant à travers leurs chansons les injustices qu’elles vivent. Elles ont pour but d’amener des changements de mentalité.
Si les femmes sont minoritaires dans le milieu du rap au Maroc, elles s’approprient néanmoins de plus en plus ce style de musique et deviennent de réelles pionnières du féminisme. Selon les documents de Mobilising for Rights Associates, les lois sont mal connues par les femmes marocaines et des dichotomies existent entre ce que ces lois stipulent et l’agissement des dirigeants et dirigeantes. Par exemple, bien que la violence domestique soit interdite, une émission de télévision sur la chaîne nationale apprend aux femmes comment cacher leurs ecchymoses.
Des rappeuses marocaines telles que Tendresse, Krtas Nssa, Soultana, Psychoqueen et d’autres dénoncent dans leurs textes le patriarcat et le sexisme qu’elles subissent. Soultana aborde ces situations que vivent les femmes dans sa pièce musicale Sawt Nsaa. Elle y chante en arabe : « elle lui a donné l’amour, l’argent, la vie. Il lui a donné mensonges, violence et l’a manipulée pour qu’elle gagne de l’argent rapidement [comprendre se prostituer] ». Tendresse, elle aussi, dénonce l’oppression et le harcèlement que vivent les Marocaines :
« J'essaie un petit peu de revendiquer mes droits en tant que femme, ainsi que les droits de tous marocains, mais surtout dans un contexte qui parle plus de la paix que de la révolution », affirme-t-elle en entrevue.
La politique et la religion sont indissociables
Zineb Rabouj, doctorante est responsable du projet Female Rapping in the MENA Region (Afrique du Nord et Moyen-Orient) dont l’objectif est de montrer que les femmes marocaines résistent au patriarcat en prenant place dans des domaines habituellement réservés aux hommes comme le rap. Elle souligne que, depuis les manifestations du 20 février 2011 pour une constitution démocratique au Maroc, la population a davantage le droit de parole et les rappeuses sont entendues à la radio. « Le Maroc tente de devenir démocratique sur plusieurs points, mais les femmes vivent encore plusieurs restrictions en raison de la culture et de la religion », explique la doctorante. Dans son morceau KickOff, la rappeuse Khtek chante : « on a voulu du changement, mais la justice nous a rendu visite ». Dans ce pays du Maghreb, la religion et l’État ne font qu’un. « Parler contre le système politique au Maroc, c'est tabou », ajoute Mme Rabouj. Ces femmes qui dénoncent l’État en chanson s’exposent donc au jugement de la population et aux sanctions de l’État.
Semblablement, Tendresse confie que le rap au Maroc est mal vu : « Quand j'ai commencé à faire du rap, mes parents ne savaient pas, parce que c'était quasiment comme on dit chez nous « haram » [qui signifie « interdit » en arabe]. […] C'est comme si tu commettais un péché. » Le co-directeur du festival casablancais L’Boulevard, Hicham Bahou, revient d'ailleurs sur l'accueil peu chaleureux qu'a reçu la rappeuse Ily lors de l’édition 2017 : « Le rap est un art de provocation, de clash avec des codes particuliers. C’est ce qui fait que, socialement, il est difficile pour ces jeunes artistes de foncer dans ce milieu et de se faire une place. »
D’ailleurs, à l’exception de Tendresse, aucune rappeuse n’a voulu répondre à nos questions. Être rappeuse apporte une insécurité constante dans ce pays où les femmes luttent toujours pour l’égalité.
Crédit-illustration : Malika Alaoui