Seule une faible proportion des 2,9 millions d’Américains et Américaines vivant à l’étranger et pouvant voter participent à la vie politique. Le vote en ligne, pourtant peu présent aux États-Unis, est une solution largement adoptée par l’Estonie.
Seulement 7,8% des Américains et Américaines vivant à l’étranger ont voté aux élections présidentielles de 2020. Le désengagement politique, la perte du sentiment d’appartenance au pays et le manque de motivation sont nommés comme principales raisons de ce faible taux de participation.
Le vote en ligne pourrait-il être une solution pour les États-Unis? Son accessibilité permet aux Estoniens et Estoniennes vivant hors du pays de participer facilement à la politique. Mikhel Solvak, professeur associé en recherche technologique à l’Université de Tartu en Estonie, explique que le processus de vote en ligne ne prend que quelques minutes. Après avoir téléchargé l’application, il suffit de s’identifier, sélectionner le vote et l’envoyer. Ce dernier est crypté et envoyé à des serveurs où le décompte est effectué.
En Estonie, 99% des services gouvernementaux sont accessibles en ligne. Cette utilisation de technologies est appelée « e-gouvernement ». Avec une identité numérique, les citoyens et citoyennes peuvent payer leurs impôts, s’inscrire à l’école ou encore voter.
Mari Sild, une Estonienne vivant à Montréal, a confiance en ce système. « S’il avait un problème, je suis assez sûre qu’on [serait informé] rapidement », dit-elle. Elle explique que l’habitude de la population à utiliser « e-gouvernement » facilite cette confiance. M. Solvak soutient ces propos : « c’est la même infrastructure que tous les autres services [en Estonie], ce n’est rien de nouveau pour eux. »
En 2023, 51% de la population estonienne ayant voté a utilisé la plateforme i-Voting contre 49% allant aux urnes, un nombre augmentant à chaque élection.
Et aux États-Unis?
À plus petite échelle, le vote en ligne existe déjà dans quelques États pour les militaires, les votants et votantes à l’étranger et certaines personnes présentant des handicaps.
Un système similaire à celui de l’Estonie serait-il implantable aux États-Unis? « Non, étant donné l’environnement politique actuel où certains acteurs essaient de soulever des questionnements sur la validité des résultats aux élections », répond le professeur de sciences politiques de l’Université de Virginie-Occidentale, Erik S. Herron. La polarisation empêcherait un consensus entre les partis et avec la population.
M. Herron donne en exemple le cas du Electronic Registration Information Center (ERIC). « [ERIC] est un système volontaire non partisan inter-états permettant de coordonner les informations sur un votant », explique-t-il. Plusieurs États ont quitté le programme, affirmant qu’il était biaisé. Selon M. Herron, si certains acteurs et certaines actrices ne peuvent pas faire confiance à ce système, ils et elles ne pourront plus faire confiance à un vote en ligne.
D’autres exemples de méfiance, comme les doutes sur la validité des machines électroniques de comptage ou encore les possibilités de poursuites judiciaires, ont été mentionnés par plusieurs intervenants et intervenantes.
Pas une solution miracle
M. Solvak ajoute qu’il ne faudrait pas voir le vote en ligne comme une solution miracle pour la démocratie. Le nombre de votants et votantes ne va pas nécessairement augmenter, prévient-il. « Les principaux problèmes habituellement ne sont pas les difficultés physiques, mais le manque de confiance et le désengagement politique. Le vote en ligne n'aborde pas ces problèmes ». Il ajoute qu’une telle technologie introduit des risques techniques à considérer.
« Il va toujours y avoir du scepticisme de la part des personnes ne comprenant pas complètement le système » - Marc Trussler
Le processus de vote aux États-Unis est complexe et décentralisé. La méthode de comptage des voix est différente non seulement dans chaque État, mais également dans chaque district. Il peut être difficile pour une personne de se retrouver à travers les différentes procédures. Ajouter un degré supplémentaire de complexité serait handicapant, explique le directeur des sciences des données pour le programme de recherche d’opinion et d’études électorales de l’Université de Pennsylvanie, Marc Trussler.
De plus, M. Trussler ajoute que, bien que les votants et votantes à l’étranger peuvent influencer ces élections serrées bien qu’il s’agit d’un très petit pourcentage de la population américaine.
Miser sur ce que les gens connaissent
Le coordonnateur des services aux citoyens du consulat américain à Toronto, Ian Hopper, explique que lui et son équipe essayent de rendre le processus de vote pour les Américains et Américaines vivant au Canada le plus facile possible. « Nous fournissons les informations et expliquons aux citoyens comment s’enregistrer et voter », explique-t-il. Certains événements sont organisés pour encourager le vote à distance en plus d’une présence du consulat sur les réseaux sociaux. « [Le but] est de le mettre dans l’esprit des citoyens ».
Peu de votes se font encore par courrier, explique-t-il, et cette voie possède des défauts. La possibilité de courriers perdus ou « l’effort » d’expédition peuvent être un frein.
Malgré tout, M. Hopper indique qu'« aujourd’hui, les Américains veulent que leurs votes soient en sécurité. Nous faisons confiance au système de poste, au système papier ». Une idée corroborée par M. Trussler de l’Université de Pennsylvanie. Plusieurs améliorations, comme l’ajout de bureaux de votes par anticipation ou la possibilité de rester un votant ou une votante par la poste sans devoir refaire la demande chaque année, ont été faites pendant la pandémie. « C’est ce genre de choses qui vont [réellement] étendre l’accès au vote ».
Les registres sur les votants et votantes sont détenus individuellement par les États. ERIC est créé suite à une étude en 2012 soulignant plusieurs problèmes de cohérence sur les informations des votants et votantes. Certaines personnes étaient enregistrées dans plus d’un État ou encore, d’autres personnes mortes étaient enregistrées comme votantes.
Crédit photo : Clay Banks