Le vote évangélique pourrait faire pencher la balance en faveur du Parti républicain. Or, des questions complexes, telles que l'avortement et l'immigration, divisent ce groupe influent.
Les évangéliques, dit(e)s « né(e)s de nouveau », constituent depuis quinze ans un pilier du Parti républicain et sont au cœur de ses stratégies électorales. Bien que ce mouvement au sein du protestantisme ne représente que 20% des électeurs et électrices, il forme près de 40% de l’électorat républicain, selon Daniel K. Williams, professeur adjoint à l’Université d’Ashland et chercheur associé au Ashbrook Center.
« Si Donald Trump l’emporte, il devra remercier les évangéliques pour sa victoire, tout comme en 2016. Si davantage d’évangéliques étaient restés chez eux en 2016, Donald Trump n’aurait pas été élu président. », dit-il, en soulignant l’importance de mobiliser cet électorat.
Pourtant, une division se forme parmi les évangéliques en ce qui concerne l’avortement. Alors que plusieurs partisans et partisanes voient en Trump un défenseur de leurs valeurs, son refus d’imposer une prohibition de l’avortement suscite une frustration, explique André Gagné, directeur du département d’études théologiques à l’Université Concordia. Certains et certaines se rendent aux urnes pour défendre un seul enjeu et la position de Trump sur l’avortement ne satisfait pas leurs attentes, explique-t-il.
Bien que cette division ne mette pas fin à l’attachement des évangéliques envers l’ancien président, elle pourrait néanmoins pousser quelques-uns et quelques-unes à s'abstenir ou à explorer d'autres options. « Dans un État pivot où l’électorat est divisé, même 1% des voix en faveur d’un candidat tiers peut suffire à faire basculer l’élection », souligne Daniel K. Williams. Ce serait le cas pour la Pennsylvanie, l’Arizona et le Nevada, entre autres.
Qui sont les évangéliques américain(e)s
Les valeurs traditionnelles constituent le socle commun des croyances évangéliques, déclare André Gagné, auteur de Ces évangéliques derrière Trump. Ces valeurs influencent fortement les positions politiques des évangéliques sur des questions sociétales, telles que les droits des personnes LGBTQ+, qui ne s’accordent pas avec leur vision conservatrice, selon M. Gagné. Les discours républicains viennent renforcer cette vision en mettant de l’avant ces enjeux pour mobiliser leur électorat, ajoute-t-il.
Pour Jerry Blackmon, pasteur évangélique de la Community Christian Church en Californie, l'avortement, les droits LGBTQ+ et l'immigration sont les enjeux qui guident le vote de sa communauté. « Les républicains cherchent à plaire à Dieu, tandis que les démocrates essaient de plaire aux hommes », affirme-t-il.
Parmi le vote évangélique, seul l’électorat afro-américain semble tendre davantage vers les démocrates, une tendance plutôt influencée par l’ethnicité que la religion, selon une étude de l’Institut James Baker publiée en septembre 2024. Les évangéliques afro-américain(e)s montrent une légère propension à voter républicain comparativement aux autres membres des églises noires chrétiennes, bien que ce pourcentage reste relativement faible, d’après M. Williams.
S'il y a un groupe issu des minorités qui pourrait se rallier de plus en plus à Trump, ce sont les personnes d'origine hispanophone, observe André Gagné. « Le lien [des communautés hispanophones] avec les traditions catholiques et évangéliques est très fort », dit-il.
Par ailleurs, les républicains et républicaines cherchent à dépeindre les démocrates comme porteurs et porteuses d'idées socialistes. Ce discours résonne particulièrement chez les communautés cubaines ou vénézuéliennes, souvent marquées par l’exil des régimes socialistes. Près de 40% de ces groupes envisagent de voter républicain, ajoute-t-il.
L’électorat catholique, dont plusieurs Hispaniques font partie, se retrouve face à un dilemme moral plus complexe lors de cette élection comparativement aux précédentes, souligne Daniel K. Williams. Ceux et celles qui adoptent des positions progressistes sur des enjeux comme l’immigration, mais qui demeurent opposées à l’avortement, voient leur choix électoral se complexifier.
Le pape François a d’ailleurs commenté l’élection américaine en déclarant que les catholiques « devront choisir le moindre mal ». À son avis, ni Trump ni Harris n'est réellement pro-vie: l'un porte atteinte à la dignité humaine des immigrants et immigrantes par ses propos et ses politiques, tandis que l'autre soutient fermement le droit à l'avortement.
Un déclin de l’influence chrétienne?
Selon le pasteur Jerry Blackmon, les valeurs chrétiennes ne dominent plus la société contemporaine. « Les États-Unis se sont éloignés des valeurs chrétiennes sur lesquelles le pays a été fondé, donc [l’électorat] penche désormais vers la gauche », dit-il. Certes, la proportion des personnes sans affiliation religieuse, appelées « nones » en anglais, augmente aux États-Unis, mais le pays demeure majoritairement chrétien, rappelle André Gagné.
Par ailleurs, ces « sans religion » n’exercent pas une influence politique significative, car leur capacité de mobilisation reste bien inférieure à celle des diverses dénominations chrétiennes, qui disposent de réseaux organisés pour promouvoir leurs idées, explique ce dernier. « Ce sont eux qui se mobilisent le mieux, car ils ont les réseaux, les financements, les églises et les fidèles », ajoute-t-il.