Le 30 décembre 2019, le scientifique chinois He Jiankui a été condamné à trois ans de prison et à payer une amende de trois millions de yuans, soit environ 570 000 dollars canadiens, pour pratique illégale de la médecine. Son crime : avoir modifié le code génétique de trois nouveau-nés avec une nouvelle technologie, le Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats (CRISPR), pour tenter de les immuniser contre le VIH.
L’expérience, depuis son annonce en 2018, a indigné la communauté scientifique internationale. C’est une chose de modifier des cellules dites « somatiques », comme des muscles ou des os, qui meurent avec leur porteur. C’en est une autre de modifier des cellules « germinales » (ovules, spermatozoïdes, embryons) qui se transmettent sur toute une descendance.
Le directeur du centre de bioéthique de l’Université de Chine à Hong Kong, le Dr Derrick Au, signale que He Jiankui a « ignoré les exigences de base pour prouver l'innocuité et l'efficacité » de l’opération, alors que son « processus de consentement éclairé était bâclé et possiblement trompeur».
Joseph Bondy-Denomy, qui dirige un laboratoire de recherche sur la méthode CRISPR à l’Université de Californie, explique que la maîtrise de la technologie est encore trop imparfaite pour être utilisée sur des humains : « Il est certainement plausible que les bris de l’ADN édité causent quelque chose d’imprévu », affirme-t-il, en faisant référence à des conséquences comme le développement de cancers.
L’évolution vers l’eugénisme
Les ratés techniques ne sont qu’une partie des enjeux. La titulaire de la Chaire de recherche du Canada en bioéthique et en philosophie à l’Université Dalhousie, Françoise Baylis, s’inquiète des conséquences sociales : « Qu’arrivera-t-il quand nous permettrons à ceux qui ont déjà l’avantage économique, politique et géographique de l’inscrire dans leur ADN? Parce que ce seront eux qui auront accès à cette technologie. »
Elle redoute aussi que l’outil CRISPR devienne normalisé au point où on l’utiliserait pour des améliorations superficielles. « Qui peut décider quels traits sont bons, désirables? », se demande-t-elle.
C’est avec ces questions en tête que Mme Baylis a cosigné en 2019 une demande de moratoire mondial sur « tous les usages cliniques des modifications germinales ». Cet arrêt temporaire des expérimentations laisserait, selon elle, le temps à l’humanité de délibérer des questions éthiques entourant la technologie : « Nous devons nous arrêter et réfléchir. Nous ne pouvons pas continuer à courir quand nous ignorons vers quoi nous courons. »
Un débat politique
Au Canada, la Loi sur la procréation assistée de 2004 interdit toute modification de cellules germinales, même à des fins de recherche. En 2017, une dizaine de scientifiques ont signé une lettre demandant un changement à la loi.
« C’est quelque chose qu’on devrait faire, d’un point de vue éthique, parce que ce type de recherche peut mener à autre chose qu’un bébé génétiquement modifié », tel qu’étudier l’origine des problèmes de santé, explique l’une des signataires et professeure agrégée au programme de bioéthique de l’Université de Montréal, Vardit Ravitsky. Pour elle, les citoyens canadiens ont le « droit d’avoir accès aux traitements qui peuvent en [découler] ».
Mme Baylis, de son côté, craint que cela entraîne d’autres dérégulations plus néfastes : « Si on ouvre cette loi, il y a plein de choses qui vont être remises en question », comme l’interdiction de créer des humains modifiés.
Sensationnalisme, science et spéculation
Malgré les spéculations entourant la méthode CRISPR, il y a des limites à ce que la technologie peut vraiment accomplir. « C’est comme cette notion de bébé sur mesure, explique Vardit Ravitsky. Les choses qui nous intéressent vraiment, ce sont l’intelligence, la capacité athlétique [...] on n’arriverait pas à contrôler ça avec CRISPR, c’est ridicule comme concept. » Comme de fait, la science actuelle permet uniquement de modifier des traits créés par un seul gène, ce qui réduit l’éventail des possibilités.
Des maladies telles que le cancer, le VIH, la maladie de Huntington et la fibrose kystique seraient toutefois traitables. Il existe, par contre, déjà des solutions pour ne rien transmettre à ses enfants : « Si vous éditez des embryons, vous avez besoin d’utiliser la fertilisation in vitro. Dans ce cas, vous pouvez déjà sélectionner des embryons qui n’ont pas le trait non souhaité », explique Joseph Bondy-Denomy. Des modifications germinales ne seraient utiles que pour les parents qui ont 100 % de chances de transmettre la maladie, et « c’est une assez petite portion du monde », affirme-t-il.
Mme Baylis, cependant, s’interroge sur la pertinence de développer de telles infrastructures pour une infime minorité : « Vous ne répondez pas à un besoin, vous répondez à un désir, celui d’avoir un enfant génétiquement semblable à soi, avec ou sans certains traits. [...] Quelles ressources allez-vous investir dans ce genre d’objectif? »
Illustration par Édouard Desroches