Le gouvernement de Xi Jinping prévoit l’implantation d’un système de crédit social (SCS) des citoyens à l'échelle nationale, en déterminant si les actions de ceux-ci sont « bonnes » ou « mauvaises », selon leurs propres critères. Il s’agit d’un système controversé qui soulève des débats dans de nombreux pays.
« Envisagé d'un point de vue occidental, le système de crédit social chinois apparaît comme la parfaite illustration du fait que, dans un environnement peu porté à la transparence, la notation est un redoutable outil de surveillance des individus », analyse Pierre Trudel, professeur de droit à l'Université de Montréal et chroniqueur au journal Le Devoir.
Chaque municipalité pilote a son lot de critères pour classifier les données collectées sur les réseaux sociaux et les applications de téléphones intelligents, et ce, grâce à une vidéosurveillance toujours plus sophistiquée. En effet, d’ici 2022, près de 3 milliards de caméras seront opérationnelles. Pékin prévoit de généraliser le système de crédit social à l’ensemble du pays ainsi qu'à toutes les entreprises étrangères, ce qui provoque une vague d’indignation en Occident.
Les citoyens « modèles » chinois reçoivent des récompenses qui varient de l’offre de nourriture à un accès facilité à un emploi privilégié ou à l’emprunt. Les « fautifs » sont quant à eux placés sur des listes noires, après avoir été lourdement sanctionnés dans certains cas, parfois pour des actes mineurs, comme avoir acheté trop de jeux vidéo ou avoir fumé dans une zone non autorisée. En 2018, plus de 23 millions de titres de transport ont notamment été refusés.
Les citoyens disposant d’un mauvais résultat sont exclus de certains métiers et peuvent aussi subir une humiliation publique avec la diffusion de leurs profils sur grand écran dans certains cinémas et centres commerciaux.
Malgré l’opacité des opérations de cette « contrôlocratie » numérique, une partie de la population chinoise semble favorable à la mise en œuvre du SCS, présenté comme étant d’inspiration occidentale, tout en respectant la culture chinoise.
« Le ciel vous regarde »
Étudiante chinoise à l'Université McGill de Montréal, Fang-Yin espère que le crédit social « permettra de remédier à la crise de confiance que traverse la société chinoise, ébranlée par trop de scandales, de fraudes et d'escroqueries ». Le SCS est aussi perçu par les classes moyennes chinoises comme un moyen de s’élever dans une société extrêmement cloisonnée.
En 2014, lors de la naissance du projet de crédit social, le rapport du Conseil des affaires d’État précisait « vouloir autoriser ceux qui sont dignes de confiance à se promener partout sous les cieux, tout en rendant chaque pas difficile pour ceux qui sont discrédités ». À l'aube de la probable extension généralisée du SCS, les défenseurs chinois des libertés individuelles tentent, à leurs risques et périls, de prouver que le crédit social est un nouvel outil pour punir tous ceux qui s'opposent au régime de Pékin.
Le journaliste d'investigation Liu Hu en a d'ailleurs fait l’expérience. Après avoir dénoncé dans un reportage des actes de corruption de certains membres du gouvernement, il a été placé sur la liste noire du SCS avec notamment une interdiction de voyager et un accès limité à Internet. Liu Hu estime que le crédit social a mis un terme à sa mission d'information et il regrette amèrement que la plupart des Chinois ne soient pas conscients de la menace que représente le SCS. « Leurs yeux sont fermés et leurs oreilles sont bouchées. Ils ne connaissent que très peu le véritable monde et vivent dans une illusion », a-t-il confié à ABC News.
Limites et dangers de la gouvernance algorithmique
Toujours est-il que l’avenir du SCS dépendra en grande partie de la capacité des autorités à constituer une base unique de données pour 1,4 milliard d’habitants. La Chine est face à un travail titanesque et quasiment irréalisable, surtout avec la fracture numérique qui divise le pays. L’étendue du territoire rend aussi peu réaliste l’idée de généraliser le SCS à l’ensemble du pays au cours de l’année 2020. Sans compter que « le niveau de sécurité en Chine demeure faible. Les piratages à grande échelle, les fuites de données et les arnaques en ligne sont monnaie courante », rappelle le sinologue à l’Ambassade de Belgique, Pieter Velghe, dans la revue Perspectives chinoises.
Au Québec, le danger principal ne vient pas de la surveillance technologique désormais sans limites, mais plutôt du fait que, comme en Chine, les autorités occidentales ne sont toujours pas contraintes par la loi de rendre des comptes aux citoyens. « Pour le moment, la législation se limite à une simple demande de consentement », précise Pierre Trudel, qui insiste sur la nécessité de légiférer en urgence. Selon lui, malgré les protections que nous imaginons avoir en Occident, les gens pourraient se retrouver avec des systèmes similaires à celui du crédit social chinois s’ils ne prennent pas garde aux processus décisionnels entourant les lois sur la surveillance numérique.
Photomontage par Florent Maiorana