La Chine a annoncé le 1er septembre dernier qu'elle mettrait en place de nouvelles régulations à la télévision pour interdire la médiatisation d'hommes « efféminés ». Xi Jinping, président de la Chine, s’est dit inquiet face à la « crise de la masculinité », d’ailleurs dénoncée en mai par Si Zefu, un haut conseiller politique chinois.
Aynne Kokas, autrice du livre Hollywood Made in China et professeure en études des médias à l'Université de Virginie, explique qu’à cause de cette décision, certains acteurs ont perdu leur emploi ou sont allés à l'étranger pour travailler. D'autres ont changé leur apparence ou leurs traits de caractère par peur d'être bannis. L'industrie se censure elle-même : certaines scènes sont même éliminées ou modifiées avant de paraître à l’écran.
M. Jinping a utilisé le terme « niang pao », un mot péjoratif signifiant « mauviette » pour décrire ces hommes lorsqu'il a annoncé le bannissement. Selon Elena Obukhova, professeure en sociologie à l’Université McGill et experte de la Chine, le terme utilisé par M. Jinping ne signifie pas la même chose pour toute la population chinoise. « C'est assez ambigu. Fait-il référence à l'apparence, au comportement [ou] à la communauté LGBTQ+? [...] Les Chinois ne comprennent pas ce que c'est d'être masculin, puisqu'ils en ont tous des visions différentes », soutient-elle. Elle affirme que cela crée des conflits sur ce qui est considéré comme masculin ou non.
L'industrie du divertissement chinois grince des dents
Avec la popularité grandissante des cultures sud-coréennes et occidentales, l’industrie chinoise de divertissement change : des hommes ont les cheveux teints et portent du maquillage ou arborent un style coloré, ce qui n'était pas nécessairement accepté avant.
« Cette nouvelle importance allouée à la masculinité par le gouvernement est assez troublante puisqu'on s'égare des valeurs revendiquant l'égalité entre les hommes et les femmes. » -Aynne Kokas
L’État soutient que l’exclusion des hommes efféminés dans les médias favoriserait des « normes de beauté adéquates » pour les jeunes Chinois. « Il y a une préoccupation dans l’industrie du divertissement où il n’est pas juste question d’identité et d’expression du genre à la télévision, mais de contrôle de cette industrie », explique Aynne Kokas.
Des cibles différentes
Selon l’autrice, ce bannissement vise à empêcher la différence. « Chaque fois qu'il y a un décalage de représentation dans les médias, cela limite la façon dont les gens se voient », juge-t-elle. Selon Mme Kokas, le gouvernement veut empêcher la médiatisation des communautés queers ainsi que des différentes expressions sexuelles et les voit comme une menace nationale. « Cette nouvelle importance allouée à la masculinité par le gouvernement est assez troublante puisqu'on s'égare des valeurs revendiquant l'égalité entre les hommes et les femmes », souligne-t-elle.
Les deux professeures questionnées par L’Apostrophe estiment qu'il est probable qu'il y ait une hausse d'homophobie en Chine. D'après Mme Kokas, cette censure des médias ne trouve pas d’appui au sein de la population. Toutefois, Mme Obukhova pense que certains groupes ayant des idées politiques ou culturelles différentes sont heureux face à la situation.
Selon Obukhova, le gouvernement et plusieurs groupes économiques ou sociaux voient la gent masculine chinoise comme moins virile aujourd’hui; non seulement à cause de la médiatisation d'hommes efféminés, mais aussi en raison de la politique de l'enfant unique qui obligeait les familles chinoises à avoir un enfant de 1978 à 2021. La Chine croit que médiatiser des hommes « masculins » aidera cette crise, alors que les valeurs traditionnelles du héros de guerre tendent à disparaître.
Photo: Florence Beaudoin