Fort attendu par les militantes féministes argentines, un projet de loi légalisant l’avortement a été reporté par le gouvernement jusqu’à nouvel ordre en raison de l’arrivée brusque de la COVID-19. Dans le pays, une femme meurt chaque semaine des conséquences d’un avortement clandestin.
L’avortement en Argentine est illégal, sauf si la grossesse représente un danger de santé pour la mère ou si elle est le résultat d’un viol. Selon la loi, les médecins font face à une peine de 15 ans de prison s’ils ou elles exécutent cette pratique. Une femme qui se fait avorter risque quant à elle jusqu’à quatre ans derrière les barreaux.
Selon des statistiques effectuées par des organisations féministes comme la Campaña et Ni Una Menos, 400 000 avortements clandestins se produisent chaque année en territoire argentin. Sur ce nombre, de 50 000 à 70 000 femmes sont hospitalisées. « La pénalisation de l’avortement tue, affirme le journaliste Rémy Bourdillon. Celle-ci force le recours à des moyens allant de l’aiguille à tricoter jusqu’aux pilules louches vendues sous le manteau ».
En 2018, un premier projet de loi a été présenté pour décriminaliser l’avortement dans les 14 premières semaines de grossesse. Toutefois, le Sénat argentin a rejeté la proposition. En effet, le pays sud-américain compte encore à ce jour des millions de citoyens et de citoyennes s’opposant à l’avortement. Une étudiante argentine du collège Dawson, Victoria Antonyuk, affirme « qu’il est décevant de grandir avec certaines personnes et de réaliser qu’elles ont l’esprit fermé par rapport à un droit humain fondamental ». Elle a vécu les six premières années de sa vie en Argentine et sa sœur aînée y demeure toujours. Sa famille compte parmi ceux qui sont contre l’avortement.
Une légalisation de l’avortement différente des autres
Il existe une distinction entre la décriminalisation et la légalisation, affirme Rose Chabot, membre de l’équipe de recherche interuniversitaire sur l’inclusion et la gouvernance en Amérique latine. Elle explique que le mouvement progressiste se produisant au pays est distinct des autres mouvements. « Par exemple, au Canada, nous avons simplement enlevé les lois interdisant l’avortement du Code criminel, explique-t-elle. En Argentine, les féministes doivent également s’assurer que les pratiques seront mises en place par le gouvernement. Vu que l’Église possède beaucoup de pouvoirs au niveau politique et social dans le pays, il y a une certaine adaptation à faire au sein de la société argentine. »
La COVID-19 met les avancées sur pause
Les mesures de confinement engendrées par la pandémie ont rendu l’accès aux soins de santé encore plus difficile. Avec plus d’un million de cas de COVID-19 aujourd’hui, la priorité du système de santé argentin est de combattre le virus.
Nul n’est nécessaire de dire que les féministes se sentent oubliées par le gouvernement, dirigé par le président Alberto Fernández, qui leur avait promis un projet de loi en faveur de l’avortement. Entre-temps, les interruptions volontaires de grossesse (IVG) clandestines ne diminuent pas.
Malgré tout le retard que la pandémie a entraîné, le principal conseiller juridique du président Fernández espère présenter le projet de loi avant la fin de l’année.
Photo par Laetitia Arnaud-Sicari