Chez les Kurdes, ce peuple apatride qui vit entre la Syrie, l’Iran, l’Irak et la Turquie, la conservation de la tradition orale permet de combler un désir de reconnaissance et d’affirmation identitaire.
Le 21 mars dernier avait lieu le Nouvel An kurde, jour de l’équinoxe du printemps. En Turquie, cette célébration est devenue une véritable fête de la résistance où s’illustrent, entre autres, les Dengbêjs.
Si cette fête est aussi importante pour les Kurdes, c’est que leur langue et la démonstration publique de l’appartenance à leur communauté ne sont pas interdites par la loi, mais sont fortement réprimées par les autorités turques.
Les Kurdes sont victimes d’assimilation, de pressions diverses et d’interdictions. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, termine la plupart de ses discours avec un rappel, qui n'inclut pas la communauté kurde : « une langue, une nation, un drapeau, une religion ».
Raconter pour résister
Comme moyen de résistance à cette tentative d’assimilation, les Dengbêjs, ces chanteurs et conteurs kurdes majoritairement masculins, récitent sans instrument l’histoire de leur communauté.
Selon Aram Taştekin, comédien et écrivain d’origine kurde, une personne ne peut véritablement définir sa culture que si elle est mise en danger.
Dans le livre Hozan Rêber, Le chant d’un kurde en exil, écrit par Chantal Constant, le chanteur et musicien Hozan Rêber parle de la pratique de son père Dengbêj. « Il chantait la vaillance, la résistance à l’oppression, la fierté d’être Kurde. Il chantait l’amour aussi », y est-il écrit.
Anciennement, la majorité de la communauté kurde vivait dans les régions montagneuses du Kurdistan turc. Durant l’hiver, les familles se rassemblaient chez les Dengbêjs du village pour les écouter, chanter et conter. M. Taştekin explique que c’est cette tradition qui a conservé intacte toute la mémoire de son peuple.
Dans les années 1990, près de 4000 villages kurdes ont été brûlés par l’État turc, obligeant la communauté ostracisée à se déplacer vers les grandes villes. Cet exil forcé a mis un frein à la pratique des Dengbêjs, qui risquaient des amendes s’ils prononçaient publiquement un seul mot en langue kurde.
« Le conteur conte dans les yeux, les oreilles, et les corps des gens. L’histoire qu’il raconte sort de son corps et entre dans celui des autres. Il crée un corps à corps, sans contact » ㅡ Chantal Constant, conteuse et autrice
Un corps à corps sans contact
« Le conteur conte dans les yeux, les oreilles, et les corps des gens. L’histoire qu’il raconte sort de son corps et entre dans celui des autres. Il crée un corps à corps, sans contact », déclare la conteuse et autrice Chantal Constant. Elle ajoute qu’on ne peut exister sans savoir d’où on vient.
Bien que ces organisations ne soient pas financées par l’État, il existe aujourd’hui un Centre culturel kurde ainsi qu’une Maison du Dengbêj à Diyarbakir, la capitale du Kurdistan turc.
Art de survie et de résistance, l’art Dengbêj, encore bien vivant, permet au peuple kurde de rester en contact avec ses racines.
Photo : Malika Alaoui