La langue française présente de nombreuses variantes : entre le français du Québec et celui de la France, l’écart est parfois important. C’est à un point tel que des œuvres littéraires québécoises doivent être adaptées avant d’être distribuées dans l’Hexagone.
Il en est ainsi pour les films de Xavier Dolan, souvent sous-titrés, et pour des romans qui sont remodelés afin d’être mieux compris par le public français. Alors que certains considèrent inconcevable d’imposer une révision linguistique aux œuvres québécoises, Daniel Bertrand, président chez Groupe Bertrand Éditeur, au Québec, est plus nuancé à ce sujet. Il explique que l’essentiel reste de parler au lectorat : «L’objectif, vraiment, c’est de nous adresser aux masses.» Pour ce faire, une adaptation peut, selon lui, être nécessaire : «Des expressions qu’on utilise ici, mais qui ne sont pas du tout utilisées [en France], ça suffit pour faire décrocher le lecteur du livre.» Kevin Lambert, auteur du roman Querelle de Roberval, devenu simplement Querelle en France, explique que le registre de langue familier utilisé dans son livre peut être une source d’incompréhension pour un public qui n’est pas québécois. Ainsi, un travail d’adaptation a été fait en collaboration avec l’auteur et les deux éditeurs, au Québec et en France.
Conserver l’essence
Pour Kevin Lambert, il est important que la langue ne soit pas un obstacle à la compréhension des subtilités de son roman. «Je trouvais que c’était important que tu ne manques pas la petite complicité entre deux personnages parce que tu ne comprends pas ce qu’ils viennent de dire», note-t-il en guise d’exemple. Il ne s’agissait donc pas d’un sacrifice pour lui, dans la mesure où son livre peut être lu et apprécié par un nouveau lectorat à l’extérieur du Québec. Daniel Bertrand confirme que les livres qu’il publie au Québec, puis en France, demeurent les plus fidèles possible à leur version originale, puisque le travail de collaboration entre éditeurs et auteurs permet de conserver le sens de l’œuvre.
Ce sont seulement les tournures de phrases et les expressions dites problématiques qui sont touchées par l’adaptation, tandis que l’histoire, les personnages et le style de l’auteur sont préservés.
L’adaptation a ses avantages et ceux-ci transparaissent au niveau des ventes, ajoute Daniel Bertrand. Il explique qu’il est nécessaire de faire confiance à l’éditeur européen, puisqu’il connaît forcément mieux son marché et qu’il est prestigieux pour un auteur québécois de publier en France. Pour la linguiste et spécialiste en sociolinguistique historique du français québécois, Anne-Marie Beaudoin-Bégin, la solution pourrait résider dans la loi du marché : «Ce qu’il faudrait, c’est que le public français réclame plus d’authenticité. Il faudrait qu’il soit au courant de ces changements et il faudrait qu’il affirme ne pas les vouloir.»
La France comme modèle culturel ?
Selon Mme Beaudoin-Bégin, ce phénomène est une marque évidente d’une hiérarchisation linguistique. «Le français hexagonal est toujours perçu comme supérieur aux autres variétés de français», explique-t-elle. «Les films, les émissions pour enfants, les séries, tout ça a été depuis longtemps doublé dans une langue qui ne correspond pas complètement à la nôtre. C’est donc normal pour une personne du Québec de devoir faire un effort de compréhension, de devoir se fier au contexte, de devoir accepter de ne pas comprendre à 100% du premier coup. Le public français n’est pas exposé à ce genre de situation», dénote la linguiste et auteure de trois ouvrages sur le français parlé au Québec.
Daniel Bertrand abonde dans le même sens en expliquant que l’inverse n’est pas une pratique répandue. Au Québec, il est très rare de modifier ou d’adapter les oeuvres françaises. Selon Kevin Lambert, il s’agit des conséquences du rapport colonial et de l’histoire qui relie le Québec à la France. «Il y a encore une idée que la langue de Paris, c’est la norme», indique-t-il. Adapter les œuvres pour les diffuser en France, «c’est une manière d’exposer le lectorat à la langue québécoise, et c’est en étant exposé qu’on se familiarise avec cette langue», ajoute-t-il.
L’adaptation des œuvres pour leur diffusion en France reste une façon pour les artistes québécois de rayonner et d’exposer un autre lectorat à leur plume. Ce processus, pour Querelle, par exemple, a permis à l’auteur d’augmenter ses ventes et d’être en nomination pour quatre prix littéraires, dont le prix Médicis, décerné à un auteur peu connu. «Je ne crois pas que le roman aurait pu avoir la diffusion qu’il a connue sans [l’adaptation]», explique Kevin Lambert. «Ça s’inscrit dans un contexte où on a encore pas le choix de le faire», conclut-il.
Photo par Andréa Spirito