Après le massacre des Tutsi(e)s en 1994, le Rwanda a adopté une nouvelle constitution pour permettre aux femmes de prendre part aux décisions gouvernementales. Elles représentaient alors 70 % de la population, et leur contribution a été cruciale dans la reconstruction du pays.
Les femmes occupent environ 63,8 % de la chambre des député(e)s et 53,8 % du Sénat rwandais. Une majorité féminine en position de pouvoir est également observée à l’extérieur du gouvernement. Le pays fait des avancements en termes de parité des genres, le plaçant au douzième rang du classement du Rapport mondial sur l'écart entre les femmes et les hommes du Forum économique mondial en 2023. Toutefois, les avancées ont leurs limites, les Rwandaises gagnent encore seulement 88 cents pour un dollar chez les hommes.
« Le pays a instrumentalisé l’égalité de genre pour démontrer le développement du pays », établit Laura Gotti, responsable des communications chez Rwanda Men’s Resource Center (RWAMREC).
Après la tragédie, le pays s’est concentré sur la réconciliation entre les groupes ethniques au sein de la société. Toutefois il reste du chemin à faire : « les différences sont énormes entre les contextes urbains et ruraux », explique-t-elle. Mme Gotti explique qu’à cause de cette disparité, combattre les violences conjugales, la masculinité négative, le déséquilibre financier et le manque d’éducation ne suffit pas pour défaire les normes sociétales en ville et surtout en régions rurales.
Victimes de viol et de violence domestique
Les femmes étaient les survivantes majoritaires du génocide, mais elles n’en sortaient pas indemnes. Selon un rapport de 1994, les Nations Unies ont compté près de 250 000 à 500 000 femmes violées lors du massacre. À cette époque, le viol était considéré comme un crime similaire au vol de propriété, discréditant le traumatisme vécu par les victimes, et entretenant un stigmate important autour des violences sexuelles. Grâce aux témoignages de plusieurs victimes, les Nations Unies reconnaissent le viol comme une arme de génocide, ce qui a incité le parlement rwandais à changer la classification du crime par leurs propres lois.
Ceci a laissé place à des discussions sur les différents types de violences de genre, soit émotionnelle, physique et économique. « On voit des hommes pleurer ou prier d’être pardonnés parce qu’ils ne réalisaient pas qu’ils étaient en train de faire du mal à quelqu’un », explique Ilaria Buscaglia, anthropologue culturelle, spécialisée en questions de genre et jeunesse, effectuant de la recherche au Rwanda depuis 2007.
Laura Gotti ajoute que « [les gens de la communauté] aiment raconter l’histoire de leur propre transformation et que le changement est vraiment parti d’eux-mêmes ».
Parfois, les problèmes de vie familiale sont de meilleures amorces de conversation que les problèmes de couple: « Nous utilisons la paternité comme point d'entrée pour impliquer les hommes dans la santé reproductive de la mère et du bébé », explique Mme Gotti.
Elle indique qu’il faut parfois partir de la base avant d’aborder le concept de travail domestique non rémunéré.
Il est question d’expliquer la biologie du sexe, comme les chromosomes X ou Y : « les femmes sont stigmatisées pour avoir uniquement des filles et aucun fils […] [les hommes] vont commencer à réfléchir aux faits et arrêter de blâmer leurs femmes », déclare-t-elle.
Le ministère de l’Éducation du Rwanda a créé des campagnes de sensibilisation sur l’importance de l’éducation et de l’égalité des genres. Cependant, cette campagne, les lois et les efforts au sein de la population ne font pas l’unanimité. Les Rwandaises ont de meilleures conditions d’emploi qui favorisent l’autonomie financière et des lois qui protègent leurs droits de propriété et d'héritage, mais l’appui gouvernemental « reçoit du backlash de la société et des partenaires de femmes, surtout autour de l’autonomie économique des femmes », explique Laura Gotti.
C’est dans ce contexte que le centre de ressource a été fondé suivant la réalisation que les programmes d'indépendance des femmes instaurés par le gouvernement « n’étaient pas efficaces ». « Pour aborder le problème, il faut engager les hommes dans la promotion d’égalité des genres », établit Mme Gotti.
Bandebereho: figure modèle
Certains organismes, comme le RWAMREC, espèrent changer les normes sociétales pour qu’elles reflètent les efforts législatifs.
À l’aide de séances d’atelier de groupe et de rencontres individuelles sur une période qui durent parfois jusqu’à 16 semaines, les programmes du RWAMREC « poussent [les hommes] à voir quelles normes de genres sont nocives, ou ce qui se qualifie de masculinité négative », indique Laura Gotti. Dans certains cas, le centre utilise des modèles comportementaux, comme un autre couple ou un individu qui sont dans l’entourage de l’homme, soit un Bandebereho en kinyarwanda. Le processus s’exécute sur une base volontaire, mais souvent les hommes sont dirigés vers le programme par « un dirigeant local, un chef d’opinion, un chef de religion, ou les autorités régionales dans le système administratif du Rwanda », établit-elle.
Malgré les avancées au Rwanda en matière d’égalité des genres, « les normes sociétales autour du genre et la perception des femmes sont présentes, il y a eu du progrès, mais, comme partout dans le monde, il y a aussi place à l’amélioration », déclare l'anthropologue, Ilaria Buscaglia.
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