L’histoire de Koko, la femelle gorille qui communiquait en langue des signes avec ses soigneurs, a fait le tour du monde. Cet exemple nous prouve que les émotions ne sont pas réservées à l’Homme, tout comme la communication et l’intelligence.
Qui aurait cru qu'un jour il serait possible pour l'humain de communiquer avec une autre espèce? L’éthologue et cofondatrice du Projet Koko, Dre Francine Patterson, a réussi à relever le défi. Au travers d’une étude échelonnée sur une période de 46 ans, elle a réussi à enseigner une version adaptée de la langue des signes américaine à Koko, un gorille femelle en captivité. Dès sa première année de vie, la jeune Koko a appris à signer des mots comme «boire» et «manger». Vers l’âge de 3 ou 4 ans, avec la répétition et la routine, Koko a enrichi de façon significative ses connaissances sur la langue des signes américaine. En effet, elle a réussi, au cours de sa vie, à maîtriser plus de 1000 mots et est devenue un symbole de la communication Homme-singe.
Intelligence ou compétences naturelles ?
«Les capacités de communication substantielles de Koko résultent des compétences gestuelles intrinsèques des grands singes, qui utilisent des douzaines de gestes sans notre intervention», souligne Francine Patterson. Les langues des signes deviennent ainsi plus faciles à apprendre à un primate qu’à un autre animal.
Pour la primatologue et professeure à l’Université de Montréal, Iulia Bădescu, l’intelligence de Koko était surprenante et elle pense que le gorille devait également trouver un intérêt à cette forme de communication : «Il semble que Koko, elle-même, était particulièrement talentueuse et intéressée à apprendre à communiquer avec les humains par la langue des signes [américaine].»
L’environnement dans lequel a évolué le gorille, élevé comme un enfant, suscite également des réactions. «Vivre avec les humains n’est pas naturel pour un primate sauvage», soutient Mme Bădescu. Elle ajoute que ce genre de situation, où un singe est élevé par des humains pour voir dans quelle mesure il peut apprendre à communiquer comme ces derniers, ne serait plus éthique selon les normes actuelles.
La spécialiste en communication interespèces, Sylvie Delorme, va plus loin encore. Selon elle, la communication interespèces peut se faire entre l’Homme et n’importe quel autre animal, même un poisson rouge. Même si plus la différence entre les modes de vie est grande, plus la communication est complexe, l’intelligence ne serait pas le seul critère pour communiquer. La communication intuitive est inhérente à toute espèce, ajoute-t-elle.
Si le projet de Francine Patterson a permis une communication interespèces irréfutable, l’utilisation de la langue des signes américaine par le gorille a fait naître une nouvelle communication intraespèce. En effet, Koko et Michael, son homologue mâle qui a appris près de 600 signes auprès de l’équipe de la Gorilla Foundation, ont utilisé cette méthode de communication pour interagir entre eux. Selon Mmes Delorme et Bădescu, les gorilles n’auraient aucun intérêt à signer entre eux à l’état sauvage, mais le phénomène est scientifiquement possible.
Une intelligence émotionnelle surprenante
Le projet a permis de lever le voile sur l’intelligence des grands primates, ainsi que sur leurs capacités à éprouver et à exprimer des émotions, à faire des blagues et à décrire le monde. «Je pense que le fait que Koko puisse communiquer ses pensées, ses désirs et ses sentiments aux humains a été une percée dans notre compréhension de la cognition des primates non-humains», indique Iulia Bădescu.
Le primate a ému le monde entier lorsqu’elle exprimé sa tristesse suite à la perte de son ami, un chaton qu’elle a nommé All Ball, avec lequel elle avait passé beaucoup de temps. Inversement, elle était également capable d’exprimer de la colère en utilisant des mots tels que «sale» et en s’en servant comme insultes.
Koko s’est éteinte en 2018 à l’âge de 46 ans, mais l’impact de son existence et le travail de ses soigneurs sont encore bien présents. Cette communication a ouvert la porte à une toute autre vision, écrasant l’idée que l’Homme est le seul être capable d’émotions ou d’intentions. Des expériences comme le Projet Koko ont entre autres permis aux humains de s’intéresser aux grands singes. Selon Francine Patterson, ce pourrait être la façon de les sauver de l’extinction : «La communication avec les grands singes peut, d’une part, améliorer leur vie en captivité et, d’autre part, augmenter l’empathie des hommes envers eux à l’état sauvage, les sauvant potentiellement d’une extinction imminente», conclut la docteure.
Illustration par Lila Maître