Des États-Unis à la Thaïlande en passant par la France, il existe près de 70 langues sifflées qui peinent à se frayer un chemin auprès du grand public. Dans un univers toujours plus rapide et toujours plus connecté, elles demeurent peu audibles.
Se transmettant de génération en génération, la langue sifflée est une manière ancienne de communiquer, où la langue maternelle est modulée par le sifflement. L’occitan ou le silbo sont deux exemples de langues sifflées se pratiquant respectivement en France et en Espagne.
«Les voyelles sont remplacées par des sifflements de hauteurs différentes», explique un ancien professeur de l’université de Pau, dans le sud de la France, Philippe Biu. Les consonnes, elles, se prononcent le plus souvent de la même manière que dans la langue parlée, bien qu’elles soient difficilement audibles.
Pour une majorité, les langues sifflées ont vu le jour pour des raisons utilitaires, comme le besoin de communiquer rapidement, en dépit d’un espace contraint par son relief. En plus d’être utilisées dans de grands espaces géographiques, elles servent tout autant dans les environnements bruyants.
Le Mexique, le Maroc, l’Espagne, le Laos, la Chine et bien d’autres pays figurent parmi ceux où s’est développée une langue sifflée au cours des derniers millénaires. Selon le linguiste et bioacousticien, Julien Meyer, les Autochtones brésiliens utilisent leur propre langue sifflée pour communiquer plus simplement entre eux, en raison de l’environnement inhospitalier.
M. Meyer explique que les zones montagneuses s’inscrivent parmi les territoires les plus propices au développement d’une langue sifflée, en raison des grandes distances pouvant séparer les deux personnes tenant de communiquer.
Bien que cette pratique puisse dater de l’Antiquité, la plus ancienne preuve de l’existence de formes de langues sifflées remonte à 1402, avec le témoignage écrit de deux prêtres franciscains, poursuit le chercheur français.
Une langue en perpétuelle évolution
«Perdre ces langues serait perdre un bout de notre humanité!» s’exclame une professeure d’occitan au collège de Laruns, en France, Nina Roth, qui qualifie la langue sifflée de «pépite linguistique».
Mme Roth, professeure depuis plus de 15 ans, estime que cette pratique est à la fois ancestrale et moderne. «Je dirais que les langues sont d’une extrême modernité dans ce monde hyperconnecté, car les jeunes qui l’apprennent l’adaptent à leurs préoccupations», détaille la professeure. C’est pourquoi Nina Roth prédit une transformation de la langue sifflée béarnaise dans les années à venir.
Mme Roth ainsi que M. Biu s’accordent pour dire que, pour intégrer un cours de langue sifflée, il est inévitable de maîtriser l’occitan et la technique du sifflement. L’objectif est de former au mieux les élèves; ils privilégient donc des activités ludiques, par exemple des chants ou des jeux, avant le cours magistral.
Un long chemin vers une reconnaissance
En ce qui a trait à l’éducation, M. Biu a estimé qu’il serait bénéfique d’ouvrir un cours de langue sifflée à l’université de Pau afin de redorer l’image de la technique utilisée par les bergers siffleurs, qui utilisaient la langue sifflée jusqu’au siècle dernier, en raison de sa grande portée.
«J'ai pensé qu'ouvrir un cours à l'université [...] aiderait cette pratique de bergers à être prise au sérieux et donc [à] être davantage soutenue», justifie l’enseignant. Alors que ce type d’enseignement universitaire était le seul en Europe à être proposé, il a été supprimé pour des raisons économiques. Chaque année, seule une dizaine d’étudiants s’inscrivaient au cours. À titre comparatif, Philippe Biu précise que près de cinquante élèves sont inscrits à ce même cours au collège de Laruns, à raison d’une heure tous les quinze jours.
Parmi eux se trouve Laurent Disnard, qui a découvert la langue sifflée lors d’une randonnée dans le village d’Aas. Le diplômé s’est inscrit à ce cours initialement par curiosité, mais aussi pour perfectionner sa technique et mieux comprendre les enjeux de cet élément du patrimoine local. Bien qu’il ne reste qu’une trentaine de locuteurs qui maîtrisent cette langue sifflée, elle a aidé plus d’une fois Laurent Disnard, que ce soit en ski ou pour retrouver ses amis au sein d’une foule.
Par ailleurs, M. Biu admet qu’il est difficile d’enseigner cette pratique : «Si l'on peut apprendre à siffler, il est très difficile de l'enseigner. C'est une expérience personnelle.» Il se veut pourtant rassurant : «Certains y arrivent en quelques jours, d'autres seulement au bout de plusieurs semaines, mois ou années . […] Cela ne compromet en rien leurs chances de devenir d'excellents siffleurs», dit-il. Ainsi, Philippe Biu et Nina Roth ont espoir que les élèves d’aujourd’hui deviendront les maîtres siffleurs de demain.