La situation entre les gouvernements successifs et la population du Liban est tendue depuis plusieurs années et cette tension s’est accentuée en raison de la crise économique qui sévit. Aujourd’hui, différents lieux emblématiques de Beyrouth, représentant la colère des Libanais, servent à partager les œuvres d’art militantes et porteuses de messages puissants.
Depuis octobre 2019, le Liban est témoin d’une série de protestations populaires contre la mauvaise gestion du gouvernement vis-à-vis des problèmes économiques et sociaux.
Historien de l’art vivant à Beyrouth, Gregory Buchakjian explique que la place des Martyrs, qui porte son nom en mémoire des nationalistes arabes pendus en 1916 par les Ottomans, est un endroit central et mythique qui n’a jamais été convenablement reconstruit depuis la guerre du Liban (1975-1990). « Chaque fois qu’il y a eu des manifestations à Beyrouth, ajoute-t-il, la place des Martyrs a été un lieu de contestation contre les lois et les pouvoirs politiques. Elle a donc un pouvoir très symbolique. »
Écrire l’histoire autrement
Une jeune artiste libanaise originaire de Tripoli, Hayat Nazer, y a érigé une sculpture d’un phœnix construit à partir de débris des campements des manifestants qui ont été détruits, ainsi qu’un coeur fait de bombes lacrymogènes et de fils barbelés. « C’est ma façon de protester », témoigne-t-elle en ajoutant qu’elle a grandement participé aux diverses révoltes et manifestations des derniers mois.
Selon Hayat Nazer, cette forme d’art permet de raconter l’histoire des Libanais et, ainsi, d’assurer une préservation des souvenirs collectifs. « Les sculptures représentent notre expérience et notre histoire, illustre l’artiste. En regardant l’art de la révolution, vous pouvez imaginer ce qui est arrivé et ce que nous avons traversé. »
Un message d’espoir
Pour M. Buchakjian, l’art de la révolution représente un grand désir d’affranchissement : « L’espace de la révolte, c’est un espace de liberté et un espace où les gens peuvent s’approprier la ville. » Par exemple, des bâtiments qui étaient inaccessibles pour la population ont été utilisés par les protestataires et les artistes pour créer des oeuvres publiques. En réponse, un mur de béton a été érigé par les autorités pour empêcher les manifestants de s’approcher du parlement. « En un jour ou deux, il y a eu des peintures murales qui ont été faites dessus : c’est vraiment une façon de dire “On est là” », ajoute l’historien de l’art. Il s’agit pour lui d’un geste très fort et d’une manière de se réapproprier les rues.
« Je crois que les artistes qui ont été actifs pendant la révolte ont exprimé les sentiments collectifs; à la fois beaucoup d’inquiétude et de peur, [mais aussi] d’excitation de vivre ainsi un moment historique», exprime-t-il.
Mme Nazer confie qu’elle a toujours voulu changer le monde, mais qu’elle ne se doutait pas que l’art pouvait avoir un réel impact. Lorsqu’elle a réalisé que les médias s’intéressaient à ses sculptures engagées, elle a compris qu’il s’agissait d’un moyen éloquent de faire passer son message à travers le monde. « Ça m’a fait sentir qu’à travers l’art, nous, les artistes, pouvons faire en sorte que notre voix soit entendue », conclut-elle.
Illustration par Édouard Desroches