L’ouverture en décembre 2020 de l’un des procès les plus emblématiques du mouvement #MeToo en Chine a ravivé les flammes des luttes féministes qui se font sentir partout au pays, des réseaux sociaux aux campus universitaires. La jeune Zhou Xiaoxuan accuse l’animateur de télévision Zhu Jun de l’avoir harcelée sexuellement alors qu’elle était stagiaire sur son plateau de tournage en 2014. Les procès pour harcèlements sont rares en Chine et il est encore moins fréquent de voir les cours de justice donner raison à la présumée victime.
Pourtant, on observe un vent de changement dans le pays et les jeunes Chinoises ne restent plus silencieuses face aux injustices liées au genre. Le mouvement #MeToo a émergé sur les réseaux sociaux chinois en 2018 et a ébranlé la société civile. Malgré la censure sur les réseaux sociaux par le Parti communiste chinois, les activistes ont su contourner les filtres (en utilisant l’homonyme riz-lapin, prononcé mi tu). Elles ont même pu témoigner des premières victoires du mouvement, avec l’ajout du harcèlement sexuel comme base légitime de poursuite au civil, ainsi que par la victoire hautement publicisée d’une femme utilisant le pseudonyme Liu Li contre son ancien patron.
Faire face à une société hostile
Ces victoires significatives sont toutefois remportées sur la toile de fond d’une société profondément conservatrice et d’un parti politique hostile aux mouvements sociaux. Les médias chinois qui couvrent le procès de Zhou se font censurer et les militantes féministes sont la cible d’attaques constantes sur les réseaux sociaux, véritables champs de bataille polarisés. Par rapport au procès de l’animateur de télévision, un utilisateur a d’ailleurs commenté sur le populaire réseau Weibo: «[Les défenseurs de Zhou et de #MeToo,] vous avez déchiré la société chinoise. Vous n’aurez pas de succès, la prochaine fois sera misérable pour vous. Quittez la Chine pour devenir féministes en Afrique». Un autre utilisateur, en soutien au mouvement, exprime ses inquiétudes: «la société patriarcale amène réellement des souffrances aux femmes, sans s’attaquer aux injustices, les injustices seront plus souffrantes. En réalité, seul le communisme peut rendre réelle l’égalité des genres». Ces deux exemples, diamétralement opposés, montrent bien les contradictions féroces entre le conservatisme prévalent dans la société et l’espoir de changement social, motivé en partie par une idéologie étatique théoriquement progressiste.
Lutter hors des réseaux sociaux
Les luttes féministes ne se confinent toutefois pas aux réseaux sociaux. Lorsque, en 2019, des hommes d’une université de Beijing ont érigé des bannières misogynes en réponse au Jour des filles célébré dans les universités locales, une activiste a brûlé deux de ces bannières. En février, des internautes ont également mené une campagne sans relâche contre Bilibili, l’équivalent d’un Netflix ou YouTube chinois, pour forcer la compagnie à retirer une série télévisée particulièrement problématique et enlever les contenus misogynes de sa plateforme.
Les activistes féministes prennent de lourds risques en s'engageant ainsi. L’exclusion sociale est presque inévitable. Liu Li, qui a gagné la première poursuite au civil liée au harcèlement sexuel, a choisi d’utiliser un pseudonyme pour dissimuler son identité. Zhou Xiaoxuan a également tenté de se protéger en demeurant sous le couvert de l’anonymat, mais son nom réel a rapidement été divulgué sur Internet. L’accusé Zhu Jun a d’ailleurs entamé une poursuite pour diffamation contre Zhou, demandant la somme de 650 000 yuans (125 000 dollars canadiens). Malgré les longs délais liés à son procès, Zhou semble confiante: « peu importe le résultat, nous pensons que faire cela a un sens», a-t-elle affirmé à l’Associated Press en décembre dernier.
Photo : Chenchen Zhang (Twitter)