AVC, crise cardiaque ou suicide: le « karoshi », une mort subite causée par la surcharge de travail, sévit au Japon et touche particulièrement les salarymen, des cadres non dirigeants. Ces travailleurs sont souvent aperçus intoxiqués ou même endormis dans les lieux publics.
Selon Masaya Takahashi, chercheur au Japan National Institute of Occupational Safety and Health , la culture du travail au Japon est l’une des principales causes de ce phénomène: « Beaucoup d’employé.es et d’employeur.es considèrent les heures de travail comme étant « sans fin ». La culture japonaise demande d’accorder beaucoup d’importance au travail, au profit d’activités quotidiennes », explique-t-il en entrevue avec L’Apostrophe. Il affirme que cette façon de penser peut amener les employé.es à travailler plus d’une centaine d’heures supplémentaires par mois.
Au Japon, les promotions dans les grandes entreprises sont déterminées par le ou la supérieure immédiate. L’une des principales façons de démontrer son implication est d’accumuler de longues heures de travail. Malgré le désir des entreprises de favoriser un meilleur équilibre entre le travail et la vie personnelle, « les mesures concrètes sont faibles », explique Bernard Bernier, anthropologue spécialiste du Japon et enseignant à l’Université de Montréal.
Les salarymen peuvent travailler « 12, 14 ou même 16 heures par jour. C'est l'accumulation d’heures supplémentaires qui est vraiment le point déterminant », révèle-t-il. Prendre un verre avec son patron et ses collègues de travail à la fin de la journée contribue également au problème. « Cela rallonge les journées des travailleurs sans être considéré comme des heures de travail », ajoute l'anthropologue.
« Une barrière à chaque étape »
Au Japon, les étudiants et étudiantes peuvent être admis à l’université une fois par an. Selon Sachiyo Kanzaki, professeure de langue et de culture japonaises à l’Université du Québec à Montréal, il y a des « barrières » à chaque étape du parcours scolaire. « Parfois [ les élèves ] attendent deux ans pour entrer à l'université parce qu'ils ne veulent pas rater l’opportunité d'entrer dans une bonne entreprise après leurs études. ll y a beaucoup de pression », souligne-t-elle.
Les « freeters », des individu.es sans emploi ou qui combinent les emplois temporaires et à temps partiel, sont perçus comme « sans ambition », explique M. Bernier. Ce sont généralement des personnes qui n’ont pas eu de carrière à la sortie de l’université. Dans la société japonaise, il est primordial de faire sa place dans le marché du travail rapidement ou dans les trois années qui suivent la sortie de l’université. « C’est une période cruciale. [...] lorsque vous avez 28 ou 30 ans, on considère qu'on ne peut plus vous former », souligne le spécialiste.
Un problème persistant
En 2019, le Japon a instauré une loi pour limiter le nombre d’heures supplémentaires à 100 par mois afin de résoudre ce problème. Selon Masaya Takahashi, le gouvernement a « exigé aux entreprises d’enregistrer le nombre d’heures de travail des employé.e.s et les heures de sortie et d’entrée ». Le gouvernement a également implémenté, en 2015, le Programme de contrôle du stress pour faire la promotion de la santé mentale. « Ce programme exige aux compagnies de 50 employés ou plus de surveiller et d’analyser les données obtenues pour améliorer l’environnement de travail », déclare-t-il.
« Le gouvernement minimise le problème en ne reconnaissant pas les gens qui sont morts de l’excès de travail », affirme Bernard Bernier. « Les chiffres obtenus par les chercheur.se.s sont dix fois plus élevés que ce qui est reconnu officiellement par le gouvernement, en particulier pour les suicides » ajoute-t-il. Selon ce dernier, les critères pour reconnaître un décès comme un karoshi sont très rigides en raison des compensations gouvernementales.
Bien que le karoshi ait d’abord été considéré comme un problème social touchant la population masculine du Japon, les femmes sont de plus en plus susceptibles d’en être affectées. De 2014 à 2019, presque le tiers des cas de karoshi, reliés à des problèmes de santé mentale et indemnisés par le gouvernement, concernaient des femmes, selon une étude de Meaghan Doner.
En 1985, le gouvernement a adopté la Loi sur l’égalité des chances entre hommes et femmes dans le domaine de l'emploi. Depuis, les femmes obtiennent de plus en plus de postes de cadres non dirigeants. « Depuis quelque temps, on embauche des femmes dans des postes permanents parce qu'on manque de jeunes hommes. Les entreprises sont réticentes à embaucher trop d'immigrants, donc, c'est les femmes qu'on embauche », ajoute Bernard Bernier.
Le Japon, affecté par un taux de natalité qui décline rapidement, tente présentement de trouver des solutions pour contrer le manque de main-d’œuvre. Entre autres, l’automatisation et l’immigration sont des solutions proposées.
Photo: Lucas Jallot