Pendant des siècles, des robes bleues et des chapeaux rouges tachaient l’immensité blanche de la Laponie, région septentrionale de la Scandinavie. Il s’agissait des Samis, peuple autochtone nomade traversant la toundra derrière des hardes de rennes. Depuis, ce peuple a bien changé, mais que reste-t-il de cette culture ?
Les Samis et les Scandinaves se sont côtoyés pendant des siècles, mais des conflits à l’aube de la colonisation ont modifié la culture same. La Suède et la Norvège, alors attirées par les terres du Nord, ont entrepris de coloniser ces peuples par différents moyens d’assimilation et lois discriminatoires.
Aujourd’hui, on retrouve entre 70 000 et 100 000 Samis dispersés dans le Sápmi (Laponie en langue same), majoritairement en Norvège et en Suède, mais aussi en Finlande et en Russie. Maintenant, plusieurs n’habitent plus au nord et se sont intégrés dans les villes occidentales au sud.
Les défis de la modernité
La proximité avec la modernité rend l’identité same difficile à définir. Torjer Olsen, professeur same en études autochtones à l’Université de Tromsø en Norvège, explique qu’avec le détachement des traditions, l’identité est diverse, mais souvent attachée à la famille et à la langue. Historiquement, les méthodes d’assimilation ont mené à une décroissance des locuteurs et locutrices, en plus d’engendrer la honte et l’humiliation liées à la pratique de leur culture.
Daniel Chartier, directeur du Laboratoire international de recherche sur l’imaginaire du Nord, de l’hiver et de l’Arctique, précise que
« l’identité est beaucoup basée sur la langue, qui possède des mots et concepts qu’on ne peut retrouver dans d’autres langues», d’où l’importance de la protéger.
Maintenant reconnue comme langue officielle minoritaire, le same, qui comprend dix dialectes distincts dont certains sont en danger d’extinction, est enseigné dans certaines écoles et quelques médias l’emploient couramment. Des parlements sames, plutôt consultatifs, ont été créés dans les trois pays scandinaves. Des actions, bien que limitées et parfois inégales, sont prises par les gouvernements avec des accommodations et des conventions.
Par ailleurs, l’élevage des rennes est aussi emblématique de l’identité de ce peuple. Il suivait originairement les migrations de ces cervidés, d’où leur mode de vie nomade. Aujourd’hui, seulement 10% des Samis sont encore éleveurs. Le travail a bien changé : l’utilisation de la motoneige pour regrouper les animaux modifie la symbiose entre les éleveurs et leurs bêtes et fait partie du processus de sédentarisation.
Le stéréotype des éleveurs et éleveuses de rennes ou des individus vivant dans le Sápmi hiérarchise la saminess (expression utilisée pour définir le niveau d'adhérence à la culture) et renforce les complexes identitaires. « Il y a une compétition entre les groupes sames à savoir qui est le meilleur Sami », explique Harald Gaski, professeur same de culture et littérature à l’Université de Tromsø. Le tourisme accentue aussi ces stéréotypes, puisqu’en recherchant le folklore, il survalorise les éléments culturels ancestraux. « Le colonialisme a rendu l’identité passéiste, d’où la difficulté de s’y identifier », rappelle Daniel Chartier.
Les projets industriels de mines ou de centrales hydroélectriques sur les terres ancestrales ont aussi des conséquences néfastes sur le mode de vie et la conservation du territoire. Selon le professeur Torjer Olsen, l’écoute du gouvernement par rapport aux enjeux culturels des Samis est présente, tandis que lorsqu’elle implique des industries, elle s’étiole. Daniel Chartier confirme que sur ces sujets, l’ouverture du gouvernement est moins naturelle.
Du Sápmi au monde entier
Malgré les défis, la culture same demeure bien vivante chez les plus jeunes, désireux et désireuses de se réapproprier les traditions. Entre autres, les artistes jouent un rôle majeur dans la visibilité et la fierté de la culture et des langues sames. Selon Harald Gaski, « l’art est maintenant la principale attraction et crée d’autres intérêts que juste ceux qui semblent exotiques, comme l’élevage de rennes ». Ainsi, ils et elles promeuvent cette identité dans un contexte plus moderne. Des événements comme le festival de musique same Riddu Riđđu, qui met en valeur toutes les formes d’arts autochtones du nord à travers le monde, perpétuent la culture et l’appartenance à celle-ci. On peut notamment y voir des artistes sames revitaliser les chants anciens (joik) et arborer leurs habits traditionnels (kofte).
Autrement, grâce à Internet, le monde entier peut découvrir cette culture. Elle a même touché les studios Disney, avec le film Frozen 2, qui s’en est inspiré pour faire le portrait de la Norvège. De son côté, Netflix présente le film Klaus dans lequel figurent des personnages embrassant la langue et les habits traditionnels sames.
Bien que cette culture n’est plus associée qu’aux pratiques ancestrales, elle survit et s’adapte aux nouvelles réalités de ce monde. Pour sa part, Torjer Olsen ne se dit pas inquiet, car il pense que les jeunes enthousiastes forment une bonne relève et qu’ils pourront se réapproprier la langue et les coutumes.
Crédit-illustration: Édouard Desroches