Méconnu de la plupart des amateurs et amatrices de photographie, un biais racial, construit dans la calibration même des pellicules photographiques, existe depuis l’invention de l’impression en couleur. Pendant des décennies, le film couleur disponible sur le marché était conçu pour la peau blanche, et ce, aux dépens des personnes de couleur.
Entre les années 1940 et 1990, alors que la pellicule photo s’est graduellement popularisée et commercialisée, la compagnie Kodak a développé son propre système de calibrage de couleurs pour imprimer les films négatifs envoyés par la clientèle. Les techniciens et techniciennes de laboratoire utilisaient alors une référence appelée la Shirley Card. Sur cette dernière se trouvait une femme blanche aux cheveux bruns, tout sourire et entourée de blocs de couleur (rouge, vert, jaune et bleu) d’un côté et de blocs noirs, blancs et gris de l’autre.
Cette carte de référence permettait d’assurer la qualité des couleurs lors de l’impression. Elle tient son nom de la première femme à y figurer : Shirley Page, une employée de Kodak dans les années 1950. Nul ne pouvait imaginer à l’époque qu’elle deviendrait le standard d’une photographie calibrée avec succès en termes de lumière et de couleur. Si la compagnie a créé plusieurs autres Shirley Cards arborant différentes femmes au fil des années, une caractéristique est toujours restée la même : celle de la peau blanche.
Un biais invisible, mais omniprésent
Évidemment, les personnes blanches n’étaient pas les seules à utiliser des caméras. Toutefois, en raison du standard de calibration imposé, certaines personnes noires, hispaniques ou asiatiques paraissaient mal lors de l’impression. Ainsi, plus le sujet avait la peau foncée, moins il était visible sur la photo. Les produits chimiques qui recouvraient le film n'étaient tout simplement pas conçus pour capturer une diversité de tons autres que les teintes de blanc.
Pourquoi ne pas avoir incorporé une diversité d’ethnicités sur les Shirley Cards? Principalement en raison du public cible. Entre les années 1940 et 1990, la majorité des individus faisant développer des films chez Kodak étaient des familles blanches. La compagnie renforçait ainsi des préjugés raciaux en envoyant le message qu’être Blanc était synonyme de « normalité ».
Un enjeu toujours actuel
Si la plupart des problèmes de calibration ont été corrigés avec l’arrivée de la photographie numérique, il existe toujours des biais raciaux dans le monde de la photographie. La controverse entourant la couverture du magazine Vogue avec la gymnaste Simone Biles n'est qu’un exemple parmi tant d’autres. Certains membres de la communauté afro-américaine déploraient le fait que la photographe ne soit pas qualifiée pour capturer adéquatement la peau noire, et que le magazine aurait dû engager une personne noire pour photographier la championne olympique.
Photo : Jakob Owens Unsplash