Il sera plus difficile que jamais d’ignorer la présence imposante de Netflix dans le milieu du cinéma hollywoodien cette année. Le géant aux lettres rouges a raflé plus de nominations aux Oscars que Disney, l’un des cinq studios les plus puissants de l’industrie. Dans la Cité des anges, la nouvelle fait réagir, mais le milieu semble prêt à s’adapter.
Pour les artisans du cinéma, la percée de Netflix est assez bien reçue. Les moyens financiers considérables et la visibilité de la plateforme la rendent attrayante. À cela vient s’ajouter une plus grande liberté artistique. Selon le critique de cinéma du journal Le Devoir, François Lévesque, « les créateurs et créatrices semblent rencontrer un accueil beaucoup plus ouvert auprès de Netflix qu’auprès des majors [grands studios] traditionnels, devenus allergiques à tout ce qui représente à leurs yeux un risque [artistique ou financier] ». Il constate que cela permet autant à de grands réalisateurs comme Martin Scorsese (The Irishman) de concrétiser ses projets qu’à d’autres, plus jeunes, comme Noah Baumbach (Marriage Story), dont les signatures sont pourtant fort différentes.
Certains cinéastes ont toutefois des réserves quant au principal mode de diffusion de Netflix : le petit écran. À titre d’exemple, le 5 janvier dernier, au Symposium des films de langue étrangère des Golden Globes, le réalisateur Pedro Almodóvar (Dolor y gloria) a professé son amour du grand écran, vantant son pouvoir hypnotique, en précisant qu’il devrait continuer de coexister avec le plus petit.
Le sort des salles de cinéma
Cela dit, les choses ne vont pas aussi mal qu’il y paraît pour les salles obscures américaines. Le professeur d’histoire du cinéma à l’Université de Californie à Los Angeles, Jonathan Kuntz, rappelle que depuis les années 1970, les spectateurs affluent dans les salles, surtout pour visionner des films à grand déploiement, et qu’il y a aujourd’hui plus de 40 000 écrans de cinéma aux États-Unis, un record jusqu’alors inégalé. En 2019, le petit dernier de la série Avengers, Endgame, a d’ailleurs enregistré la plus haute performance au box-office mondial de tous les temps.
Netflix n’est pas pour autant vu d’un bon œil par tous les propriétaires de salles de cinéma. M. Kuntz explique que la compagnie «a tenté de se réconcilier avec les cinémas en mettant à l’affiche certains de leurs films, assez longtemps pour les qualifier dans les galas». En effet, un film est tenu de demeurer à l’affiche pendant sept jours pour être admissible aux Oscars. Pourtant, le standard de l’industrie est de 90 jours, tel qu’exigé par les multinationales propriétaires de plusieurs cinémas comme AMC. Doit-on y voir une réelle tentative de faire la paix ou la simple poursuite d’un objectif promotionnel?
L’industrie à toute épreuve
Le propriétaire du Vista Theater et du Los Feliz Theater de Los Angeles, Lance Alspaugh, se dit pour sa part heureux d’accueillir les œuvres de Netflix comme The Irishman, qui a été bien reçu dans ses salles avant sa sortie sur la plateforme numérique. Pour lui, le milieu hollywoodien s’adapte, comme il l’a toujours fait.
« Nous sommes passés des sujets courts de 15 minutes, aux longs métrages de 90 minutes, du silence au son, du noir et blanc à la couleur, en passant par la naissance de la télévision. Je crois donc que l’industrie des salles de cinéma continuera de prospérer en dépit de Netflix ou de n’importe quel autre compétiteur », affirme-t-il.
Force est de constater que Netflix est là pour rester. Cela ne semble pas pour autant faire de l’entreprise l’ennemie d’Hollywood, mais peut-être bien le moteur contemporain de son changement.
Photo par Florent Maiorana